Un long chemin vers la liberte
Conférence des Etats indépendants de Lagos était l’union des Etats africains, mais elle se termina dans des querelles pour savoir quels Etats accepter ou exclure. Je suis resté discret et j’ai évité la conférence car nous ne voulions pas que le gouvernement sud-africain sache que je me trouvais à l’étranger avant mon apparition à la conférence du PAFMECSA, à Addis-Abeba.
Dans l’avion d’Accra à Addis-Abeba, nous avons retrouvé Gaur Radebe, Peter Molotsi et d’autres membres du PAC qui se rendaient aussi au PAFMECSA. Tous furent surpris de me voir et, immédiatement, nous nous sommes plongés dans des discussions sur l’Afrique du Sud. L’atmosphère était agréable et détendue. J’avais été consterné d’apprendre que Gaur quittait l’ANC mais cela ne diminuait pas mon plaisir de le revoir. Haut dans le ciel et loin de chez nous, nous avions beaucoup plus de choses qui nous réunissaient que de choses qui nous séparaient.
Nous avons fait une rapide escale à Khartoum où nous avons pris un vol de l’Ethiopian Airways pour Addis-Abeba. A ce moment-là, j’ai connu une sensation assez étrange. En montant dans l’avion, j’ai vu que le pilote était noir. Je n’avais jamais vu de pilote noir et, sur le moment, j’ai dû réprimer ma panique. Comment un Noir pouvait-il piloter un avion ? Mais je me suis repris : j’étais tombé dans l’état d’esprit de l’apartheid, en imaginant les Africains inférieurs et le pilotage un travail réservé aux Blancs. Je me suis assis dans mon siège en me reprochant d’avoir eu de telles pensées. Après le décollage mon inquiétude m’a quitté et j’ai regardé l’Ethiopie en me demandant comment les forces de la guérilla s’étaient cachées dans ces forêts pour combattre les impérialistes italiens.
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La tradition dit que l ’ Ethiopie, qui s ’ appelait autrefois l ’ Abyssinie, a été fondée bien avant la naissance du Christ par le fils de Salomon et de la reine de Saba. Bien qu ’ elle ait été conquise des dizaines de fois, c ’ est en Ethiopie qu ’ est né le nationalisme africain. Contrairement à tant d ’ autres Etats africains, elle n ’ a cessé de combattre le colonialisme. Menelik a repoussé les Italiens au XIX E siècle. En 1930, Hailé Sélassié, devint empereur et détermina l ’ histoire de l ’ Ethiopie contemporaine. J ’ avais dix-sept ans quand Mussolini attaqua l ’ Ethiopie, une invasion qui fit naître ma haine non seulement pour ce despote mais pour le fascisme en général. Hailé Sélassié fut obligé de fuir quand les Italiens conquirent le pays en 1936, mais il revint quand les forces alliées eurent chassé les Italiens en 1941.
L’Ethiopie a toujours tenu une place à part dans mon imagination et la perspective de la visiter m’attirait encore plus qu’un voyage en France, en Angleterre ou aux Etats-Unis. J’avais l’impression d’aller visiter le pays de mes origines, de retrouver les racines qui avaient fait de moi un Africain. Rencontrer l’empereur, ce serait pour moi comme de serrer la main de l’histoire.
Notre première escale fut Addis-Abeba, la ville impériale, qui n’était pas à la hauteur de son titre, car elle n’avait rien de majestueux, et comptait seulement quelques rues goudronnées et plus de chèvres que d’automobiles. En dehors du palais impérial, de l’université et du Ras Hotel où nous logions, peu de bâtiments pouvaient se comparer même aux immeubles les moins impressionnants de Johannesburg. L’Ethiopie contemporaine n’était pas non plus un modèle de démocratie. Il n’y avait pas de partis politiques, ni d’organismes populaires de gouvernement, aucune séparation des pouvoirs ; il n’y avait que l’empereur tout-puissant.
Avant l’ouverture de la conférence, les délégués se réunirent dans la petite ville de Debra Zeyt. On avait érigé une tribune sur la place centrale, et Oliver et moi nous nous sommes installés sur le côté, loin du podium. Brusquement, nous avons entendu la musique lointaine d’une trompette solitaire, puis les accents d’une fanfare accompagnée par les roulements réguliers des tambours africains. Quand la musique s’est approchée j’ai entendu – et senti – le grondement de centaines de pieds qui marchaient au pas. De derrière un bâtiment à la limite de la place, un officier est apparu en brandissant une épée étincelante ; derrière lui s’avançaient
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