Un long chemin vers la liberte
part, je considérais l’Opération Mayibuye comme un projet non seulement pas encore approuvé mais tout à fait irréaliste dans ses objectifs et sa réalisation. Je ne pensais pas que la guerre de guérilla était une option viable à se stade.
On avait ébauché le plan en mon absence, aussi je le connaissais fort peu. Mais même parmi les accusés de Rivonia, tous n’étaient pas d’accord. Govan, qui l’avait rédigé avec Joe Slovo, affirmait qu’il avait été adopté et tous deux pensaient que c’était une erreur de soutenir devant le tribunal qu’il était toujours en discussion. Tous les autres accusés soutenaient que, si le document avait bien été rédigé par le Haut Commandement, il n’avait pas été adopté par la direction de l’ANC ; le chef Luthuli ne l’avait pas vu.
Bien qu’un procès soit quelque chose de grave, nous étions en général de bonne humeur. Nous faisions beaucoup d’humour noir. Dennis Goldberg, le plus jeune des accusés, était très drôle et il nous faisait souvent rire quand nous n’aurions pas dû. Quand un des témoins de l’accusation expliqua comment Raymond Mhlaba avait porté un col de pasteur pour se déguiser, Dennis l’appela révérend Mhlaba.
Dans la salle en bas, nous communiquions souvent par écrit et nous brûlions les notes avant de les jeter dans la corbeille. Nous étions surveillés par un officier de la Special Branch, le lieutenant Swanepœl, un type costaud, au visage rougeaud, qui était convaincu que nous nous payions sa tête. Un jour, alors que Swanepœl nous observait depuis la porte, Govan Mbeki a écrit un mot en se cachant de façon très visible. Puis il me l ’ a passé avec la même attitude. Je l ’ ai lu, j ’ ai hoché la tête d ’ un air entendu, puis je l ’ ai passé à Kathy, qui a sorti ostensiblement ses allumettes comme pour le brûler mais Swanepœl s ’ est précipité, a saisi le morceau de papier en bredouillant quelque chose sur le danger de faire du feu à l ’ intérieur. Puis il a quitté la pièce pour lire son butin ; quelques secondes plus tard, il est revenu en disant : « Vous me le paierez ! » Govan avait écrit en lettres capitales : « TU NE TROUVES PAS QUE SWANEPOEL EST JOLI GAR ÇON ? »
Nous passions notre vie en prison et au tribunal, mais à l’extérieur, une nouvelle vie s’épanouissait. La femme de Jimmy Kantor allait donner naissance à un enfant. Jimmy était avocat et l’accusation l’avait intégré dans le procès pour la simple raison que c’était le beau-frère d’Harold Wolpe.
Un matin, alors que nous nous trouvions dans le box des accusés, on m’a passé une note depuis l’autre extrémité de la rangée.
« Barbara et moi, nous avons longuement parlé du choix d’un parrain et nous sommes arrivés à la conclusion que, fille ou garçon, ce serait pour nous un honneur si tu acceptais d’ajouter cette charge aux fonctions déshonorantes que tu as prises dans le passé. » J’ai répondu par retour du courrier : « Je serais enchanté, et l’honneur est pour moi, pas pour le bébé. Maintenant, ils n’oseront plus me pendre. »
56
L ’ accusation a poursuivi ses auditions pendant la période de Noël 1963 et a terminé le 29 février 1964. Nous avons eu un peu plus d ’ un mois pour examiner les témoignages et préparer notre défense. Ces témoignages ne nous impliquaient pas tous de la même façon. Il n ’ y en avait aucun contre James Kantor ; il ne faisait même pas partie de notre organisation et n ’ aurait absolument pas dû se trouver parmi les accusés. Pour Rusty Bernstein, Raymond Mhlaba et Ahmed Kathrada, les témoignages qui les impliquaient étaient faibles et nous avons pensé qu ’ ils ne devaient pas s ’ accuser eux-mêmes. En ce qui concernait Rusty, ils semblaient négligeables ; on l ’ avait seulement trouvé à Rivonia avec les autres. Les six accusés restants reconnaîtraient leur culpabilité pour certaines accusations.
Bram était profondément pessimiste. Il dit que même s’il réussissait à prouver que la guerre de guérilla n’avait pas été décidée et que notre politique de sabotage était conçue pour ne pas sacrifier de vies humaines, l’accusation imposerait quand même la peine de mort. L’équipe de défense était divisée pour savoir si nous devions ou non témoigner. Certains affirmaient que nos témoignages ne feraient qu’aggraver notre dossier. Mais
Weitere Kostenlose Bücher