Un long chemin vers la liberte
principalement par des notes, à cause des micros de notre salle de consultations. Nous avons même utilisé ces écoutes à notre avantage en fournissant une désinformation. Nous avons indiqué à voix haute que j’allais témoigner afin que l’accusation perde son temps à préparer un contre- interrogatoire. Dans une fausse conversation, j’ai dit à notre avocat Joel Joffe que j’avais besoin du dossier du procès de trahison pour préparer ma déposition. L’image de Yutar plongé dans la centaine de volumes du procès de trahison nous fit sourire.
J’ai passé environ quinze jours à rédiger ma déclaration, en travaillant surtout le soir dans ma cellule. Quand j’ai eu fini, je l’ai d’abord lue à mes coaccusés. Ils l’ont approuvée en me proposant quelques modifications, puis j’ai demandé à Bram Fischer de la lire à son tour. Cette lecture l’a inquiété et il a passé le texte à un avocat respecté, Hal Hanson. Ce dernier a dit à Bram : « Si Mandela fait cette déclaration devant la cour, ils vont l’emmener immédiatement derrière le tribunal pour le pendre. » Cela confirma les craintes de Bram et le lendemain il m’exhorta à modifier mon texte. J’avais l’impression que, quoi qu’on fasse, on risquait la pendaison, alors nous pouvions aussi bien affirmer ce dont nous étions profondément convaincus. A l’époque, l’atmosphère était extrêmement menaçante, et les journaux se demandaient chaque jour si on allait ou non nous condamner à mort. Bram m’a supplié de ne pas lire le dernier paragraphe mais je n’ai pas cédé.
Le lundi 20 avril, sous très haute surveillance, on nous a conduits au palais de justice, cette fois pour que nous commencions notre défense. Winnie se trouvait là avec ma mère et je leur ai fait signe en entrant dans une salle de nouveau pleine.
Bram annonça qu’un certain nombre de témoignages de l’accusation seraient acceptés par les accusés, et il y eut un murmure dans le public. Mais il continua en disant que la défense nierait un certain nombre d’assertions de l’accusation, y compris l’affirmation selon laquelle Umkhonto we Sizwe était la branche militaire de l’ANC. Il déclara que les responsables de MK et de l’ANC « s’étaient efforcés de maintenir ces deux organisations tout à fait séparées. Ils n’y ont pas toujours réussi, dit-il, mais ils n’ont ménagé aucun effort pour atteindre cet objectif ». Il nia énergiquement que l’ANC recevait ses ordres du Parti communiste. Il affirma que la défense réfuterait l’affirmation selon laquelle Goldberg, Kathrada, Bernstein et Mhlaba étaient membres d’Umkhonto et qu’elle montrerait qu’en fait Umkhonto n’avait pas adopté l’Opération Mayibuye et que MK n’avait pas entamé de préparatifs pour la guerre de guérilla.
« Vous allez le nier ? demanda le juge De Wet sur un ton incrédule.
— Nous allons le nier, répondit Bram. Les témoignages montreront que si des préparatifs pour la guerre de guérilla avaient bien commencé, aucun plan n’a jamais été adopté. Tout le temps, on a espéré que cette étape ne serait pas franchie. »
Puis, de sa voix douce, Bram dit : « La défense, monsieur le président, commencera par une déclaration de l’accusé numéro un, qui a pris part personnellement à la création d’Umkhonto we Sizwe et qui sera en mesure d’informer la cour sur l’origine de cette organisation. »
En entendant cela, Yutar se leva et s’écria : « Monsieur le président ! Monsieur le président ! » Il était totalement affligé d’apprendre que je ne déposerais pas comme témoin car il avait sans doute préparé mon contre-interrogatoire. « Monsieur le président, ajouta-t-il d’un air découragé, une déclaration n’a pas la même valeur qu’un témoignage sous serment.
— Dr. Yutar, répondit sèchement le juge De Wet, je pense que la défense a suffisamment d’expérience pour conseiller ses clients sans votre aide. » Yutar se rassit.
« Nos clients et nous-mêmes connaissons les dispositions du Code pénal, répondit Bram. J’appelle Nelson Mandela. »
Je me suis levé, je me suis tourné vers la cour et j’ai commencé à lire lentement.
Je suis le premier accusé.
J’ai obtenu une licence en droit et j’ai exercé en tant qu’avocat à Johannesburg pendant un certain nombre d’années, en association avec Mr. Oliver Tambo. Je suis
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