Un long chemin vers la liberte
cellule parce que les autorités ne voulaient pas que je sois le premier prisonnier à parler à celui qui allait venir. Si les prisonniers exprimaient leurs doléances chacun à son tour, les autorités pouvaient crier : « C’est l’heure », avant que le visiteur ait atteint la cellule 18. Nous avons décidé que, dans l’intérêt de l’unité, chaque prisonnier du couloir informerait le visiteur que si chacun avait des réclamations individuelles à formuler, le prisonnier du numéro 18 parlerait au nom de tous.
Le lendemain matin, après le petit déjeuner, Valise nous informa que nous n’allions pas à la carrière. Puis le capitaine Kellerman apparut pour nous dire que Mrs. Helen Suzman, le seul membre du Parti progressiste au Parlement où elle était la seule voix d’une véritable opposition aux nationalistes, allait bientôt arriver. Quinze minutes plus tard, Mrs. Suzman — 1,55 mètre – entra dans notre couloir, accompagnée du général Steyn, le commissaire des prisons. Tandis qu’on la présentait aux prisonniers, elle demandait à chacun d’eux s’il avait des doléances à formuler. Chacun répondait de la même façon : « J’en ai beaucoup, mais notre porte-parole est Mr. Nelson Mandela au bout du couloir. » A la grande consternation du général Steyn, Mrs. Suzman fut bientôt devant ma cellule. Elle me serra fermement la main et se présenta cordialement.
Contrairement aux juges et aux magistrats, qui avaient automatiquement le droit d’entrer dans les prisons, les membres du Parlement devaient demander une autorisation. Mrs. Suzman était un des rares députés, sinon le seul, à s’intéresser à la condition des prisonniers politiques. Beaucoup d’histoires circulaient sur Robben Island et elle était venue se rendre compte par elle-même.
Comme il s’agissait de sa première visite sur l’île, j’ai essayé de la mettre à l’aise. Mais elle semblait très assurée et pas du tout troublée par l’environnement, et elle m’a proposé d’entrer tout de suite dans le vif du sujet. Le général Steyn et le commandant se tenaient à côté d’elle mais je n’ai pas mâché mes mots. Je lui ai parlé de notre désir d’avoir une nourriture meilleure et qui fût la même pour tous, de meilleurs vêtements ; de quoi étudier ; de notre droit à l’information avec des journaux ; et de beaucoup d’autres choses. Je lui ai parlé de la dureté des gardiens en citant en particulier Van Rensburg. Je lui ai dit qu’il avait un swastika tatoué sur l’avant-bras. Helen a réagi comme un avocat. « Mr. Mandela, m’a-t-elle dit, nous ne devons pas y attacher trop d’importance parce que nous ne savons pas quand ce swastika a été fait. Ce sont peut-être ses parents qui le lui ont fait tatouer. » Je lui ai assuré que ce n’était pas le cas.
Normalement, je n’aurais pas dû me plaindre d’un gardien en particulier. En prison, on apprend qu’il vaut mieux lutter pour des principes généraux. Quelle que soit l’insensibilité d’un gardien, il ne fait qu’appliquer la politique directoriale. Mais Van Rensburg représentait un cas à part et nous pensions que s’il s’en allait cela ferait une énorme différence pour nous.
Mrs. Suzman m’écouta attentivement en notant ce que je disais dans un petit carnet, et elle me promit d’en parler au ministre de la Justice. Puis elle inspecta nos cellules et parla un peu avec certains prisonniers. C’était un spectacle étrange et merveilleux que de voir cette femme courageuse visitant nos cellules et marchant dans notre cour. Elle fut la seule et unique femme à honorer nos cellules de sa présence.
Van Rensburg se montra extrêmement inquiet pendant la visite de Mrs. Suzman. D’après Kathy, pendant que je parlais avec elle, il s’excusa de ce qu’il avait fait. Mais sa contrition ne dura pas longtemps ; le lendemain il nous informa qu’il maintenait toutes les accusations de ses rapports. Nous apprîmes plus tard que Mrs. Suzman avait porté notre affaire devant le Parlement, et quelques semaines après sa visite, Valise fut transféré hors de l’île.
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Je n ’ avais jamais imaginé que la lutte serait courte ou facile. Pendant les premières années sur l ’ île, il y eut des moments pénibles pour l ’ organisation à l ’ extérieur et pour ceux qui se trouvaient en prison. Après Rivonia, presque tout l ’ appareil clandestin du mouvement fut détruit. On avait
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