Un long chemin vers la liberte
carrière, nous réussissions à déjouer ses manœuvres devant le tribunal. Nous avions comme stratégie de ne pas discuter avec lui sur le terrain, mais de contester les accusations de son rapport devant le tribunal, où nous avions une chance de nous défendre devant des officiers un peu plus éclairés. Au tribunal administratif, le magistrat qui présidait lisait l’accusation. « Paresse à la carrière », disait-il et Van Rensburg prenait un air avantageux. Après la lecture du chef d’accusation, je conseillais toujours aux camarades de faire une chose et une seule : demander au tribunal des « détails circonstanciés ». C’était le droit d’un défenseur et, malgré la régularité de cette demande, Van Rensburg était presque toujours pris de court. On devait ajourner l’audience pour lui donner le temps de réunir des « détails circonstanciés ».
Van Rensburg se montrait agressif de toutes les manières possibles : quand notre repas arrivait à la carrière et que nous nous asseyions pour manger – nous avions maintenant une simple table de bois – , il choisissait invariablement ce moment-là pour venir uriner à côté de notre nourriture. Je pense que nous aurions dû lui être reconnaissants de ne pas le faire directement dans le fût, mais nous avons quand même protesté.
Un des rares moyens qu’ont les prisonniers de se venger des gardiens, c’est l’humour, et Van Rensburg devint la cible de quantité de plaisanteries. Entre nous, nous l’appelions « Valise ». La boîte dans laquelle les gardiens portaient leur repas s’appelait une « valise » et en général ils la donnaient à porter à un prisonnier, très souvent un de leurs préférés, qu’ils récompensaient d’un demi-sandwich. Mais nous avons toujours refusé de porter la « valise » de Van Rensburg, d’où son surnom. C’était humiliant pour un gardien de porter lui-même son déjeuner.
Un jour, sans faire attention, Wilton Mkwayi parla de « Valise » à côté de Van Rensburg. « Qui c’est, Valise ? » beugla-t-il. Wilton s’arrêta un instant et laissa échapper : « C’est toi !
— Pourquoi est-ce que tu m’appelles Valise ? » lui demanda Van Rensburg. Wilton resta muet. « Allez, insista Van Rensburg.
— Parce que tu portes ta valise toi-même, lui répondit Wilton en hésitant. Les prisonniers portent la valise de leurs gardiens mais nous ne portons pas la tienne, alors nous t’appelons “Valise”. »
Van Rensburg réfléchit quelques instants et, au lieu de se mettre en colère, il déclara : « Je ne m ’ appelle pas Valise, je m ’ appelle Dik Nek. » Il y eut un moment de silence et nous avons éclaté de rire. En afrikaans, Dik Nek signifie littéralement « Cou Epais » ; cela fait penser à quelqu ’ un de têtu et d ’ obstiné. Je pense que Valise était trop épais pour comprendre qu ’ il avait été insulté.
Un jour, à la carrière, nous avons repris la discussion sur les tigres en Afrique. Nous ne pouvions plus parler aussi librement avec Van Rensburg mais c’était encore possible quand nous travaillions.
Le principal avocat de ceux qui soutenaient que le tigre n’était pas originaire d’Afrique était Andrew Masondo, un responsable de l’ANC du Cap et ancien maître de conférences à Fort Hare. Masondo pouvait être très gai et il affirmait avec véhémence qu’on n’avait jamais trouvé de tigres en Afrique. La discussion battait son plein et les hommes avaient posé leurs pioches et leurs pelles. Cela attira l’attention des gardiens qui nous crièrent de reprendre le travail. Mais nous étions tellement pris par notre débat que nous les avons ignorés. Quelques gardiens peu gradés nous ont donné l’ordre de nous mettre au travail mais nous n’en avons rien fait. Finalement, Valise s’est avancé et nous a hurlé en anglais, une langue qu’il ne possédait pas bien : « Vous parlez beaucoup trop et vous travaillez trop pas assez ! » Les hommes n’ont pas repris leur outil parce qu’ils étaient pliés en deux de rire. Tout le monde trouvait la faute de grammaire de Valise extrêmement comique mais lui pas du tout. Il envoya chercher immédiatement le capitaine Kellerman, l’officier responsable.
Ce dernier arriva quelques minutes plus tard et nous trouva dans le même état. Il était relativement nouveau sur l’île et voulut prendre le ton qui
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