Un long chemin vers la liberte
convenait. Un des gardiens lui dit alors qu’Andrew Masondo et moi avions refusé de travailler, et nous fûmes immédiatement accusés de paresse et d’insubordination. Sous l’autorité de Kellerman, on nous mit les menottes et on nous conduisit en isolement.
A partir de cet instant, Valise sembla me garder une rancune particulière. Un jour qu’il nous surveillait à la carrière, je travaillais à côté de Fikile Bam. Nous étions seuls, de l’autre côté du chantier. Nous travaillions avec application mais comme, à l’époque, nous suivions tous les deux des études de droit, nous parlions de ce que nous avions lu la veille au soir. A la fin de la journée, Van Rensburg s’arrêta devant nous et nous dit : « Fikile Bam et Nelson Mandela, je veux que vous alliez chez le directeur. »
On nous a conduits chez le lieutenant et Van Rensburg a déclaré : « Ces deux hommes n’ont pas travaillé de la journée. Je les accuse d’avoir désobéi aux ordres. » Le lieutenant nous a demandé si nous avions quelque chose à dire. J’ai pris la parole : « Mon lieutenant, nous contestons l’accusation. Nous avons travaillé et, en fait, nous pouvons prouver que nous avons travaillé et c’est essentiel pour notre défense. » Cela fit rire le lieutenant. « Vous travaillez tous au même endroit, dit-il. Comment pouvez-vous avoir des preuves ? » Je lui ai alors expliqué que Fiks et moi nous avions travaillé loin des autres et que nous pouvions montrer exactement ce que nous avions fait. Valise a confirmé naïvement que nous étions restés seuls et le lieutenant a accepté d’aller voir sur place. Nous sommes donc revenus à la carrière.
En arrivant, nous sommes allés à l’endroit où nous avions travaillé. J’ai montré l’énorme tas de rochers et de chaux que nous avions élevé et j’ai dit : « Voilà ce que nous avons fait aujourd’hui. » Valise n’avait jamais pris la peine d’examiner notre travail et il a été étonné. « Non, a-t-il dit au lieutenant, c’est le résultat d’une semaine de travail. » Le lieutenant était sceptique. « Très bien, a-t-il dit à Valise, montrez-moi le petit tas que Mandela et Bam ont fait ensemble aujourd’hui. » Valise n’a pas su quoi répondre, et le lieutenant a fait quelque chose que j’ai rarement vu faire à un supérieur : il a repris son subordonné devant les prisonniers. « Vous racontez des mensonges », lui a-t-il dit, et il a immédiatement annulé l’accusation.
Un matin, en 1967, nous nous préparions à partir pour la carrière quand Valise nous a informés qu’un ordre du capitaine Kellerman nous interdisait de parler. Non seulement nous n’avions plus le droit de parler en marchant mais aucune conversation n’était plus autorisée à la carrière. « A partir de maintenant, silence ! » a-t-il hurlé.
L’ordre fut accueilli avec consternation et indignation. Parler et débattre de diverses questions étaient les seules choses qui rendaient supportable le travail à la carrière. Evidemment, nous n’avons pas pu en parler en chemin puisque nous avions l’ordre de nous taire, mais pendant la pause du déjeuner, la direction de l’ANC et les responsables des autres groupes politiques ont réussi à préparer un plan.
Alors que nous en parlions en cachette, le capitaine Kellerman est apparu en personne et il est entré dans le hangar où nous mangions. C’était tout à fait exceptionnel ; nous n’avions jamais vu un visiteur si haut gradé dans notre humble hangar. Il toussa, gêné, et déclara que son ordre avait été une erreur et que nous pouvions de nouveau parler à la carrière dans la mesure où nous ne faisions pas trop de bruit. Puis il nous dit de continuer, tourna les talons et s’en alla. Nous étions heureux que l’ordre ait été rapporté, mais nous nous demandions pourquoi.
Pendant le reste de la journée on ne nous obligea pas à travailler trop dur. Valise fit de son mieux pour paraître gentil, et nous dit qu’en signe de bonne volonté il avait décidé de retirer tous les rapports.
Cet après-midi-là, j’ai découvert qu’on avait déménagé ma cellule du numéro 4, près de l’entrée du couloir, au numéro 18, à l’arrière. On avait entassé toutes mes affaires au milieu de la nouvelle cellule. Comme d’habitude, il n’y eut aucune explication.
Nous pensions que nous allions avoir un visiteur et qu’on m’avait changé de
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