Un long chemin vers la liberte
peut négocier. Les prisonniers ne peuvent établir de contrats. […] Je ne peux m’engager à rien tant que vous, le peuple, et moi, nous ne sommes pas libres. Votre liberté et la mienne ne peuvent être séparées. Je reviendrai.
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En 1985, à la suite d ’ une visite médicale de routine avec le médecin de la prison, on m ’ a envoyé consulter un urologue qui a diagnostiqué une hypertrophie de la prostate et a recommandé une opération. Il a dit qu ’ il s ’ agissait d ’ une intervention banale. J ’ en ai parlé à ma famille et j ’ ai décidé de me faire opérer.
J’ai été admis au Volks Hospital du Cap, avec d’imposantes mesures de sécurité. Winnie est venue en avion et a pu me voir avant l’opération. Mais j’ai reçu un autre visiteur, étonnant et inattendu : Kobie Coetsee, le ministre de la Justice. Peu de temps auparavant, je lui avais écrit pour solliciter une rencontre afin de discuter des pourparlers entre l’ANC et le gouvernement. Il ne m’avait pas répondu. Mais ce matin-là, le ministre est arrivé à l’hôpital sans se faire annoncer, comme s’il venait rendre visite à un vieil ami alité quelques jours. Il s’est montré aimable et de bonne humeur et pour l’essentiel nous avons échangé des plaisanteries. Tout en me conduisant comme s’il s’agissait de la chose la plus normale du monde, j’étais stupéfait. Le gouvernement, de façon lente et hésitante, reconnaissait qu’il devait en arriver à une sorte de compromis avec l’ANC. La visite de Coetsee était un rameau d’olivier.
Bien que nous n’ayons pas parlé politique, j’ai soulevé une question délicate : le statut de ma femme. En août, juste avant mon entrée à l’hôpital, Winnie était allée à Johannesburg pour se faire soigner. Elle n’avait le droit de quitter Brandfort que pour rendre visite à son mari ou à son médecin. Alors qu’elle se trouvait à Johannesburg, sa maison de Brandfort et la clinique située derrière avaient brûlé à la suite d’un attentat à la bombe. Winnie n’avait plus d’endroit où aller et elle avait décidé de rester à Johannesburg, bien que la ville lui fût interdite. Il ne s’était rien passé pendant quelques semaines, puis la police de sécurité lui avait écrit pour l’informer qu’on avait réparé sa maison de Brandfort et qu’elle devait y retourner. Elle avait refusé. J’ai demandé à Coetsee d’autoriser Winnie à rester à Johannesburg et de ne pas l’obliger à rentrer à Brandfort. Il m’a répondu qu’il ne pouvait rien me promettre mais qu’il allait étudier le dossier. Je l’ai remercié.
J’ai passé plusieurs jours de convalescence à l’hôpital, à la suite de l’opération. Quand j’ai pu sortir, le général Munro est venu me chercher. D’habitude, les officiers supérieurs ne se dérangeaient pas pour raccompagner un prisonnier, aussi cela a-t-il éveillé mes soupçons.
Au cours du voyage de retour, le général Munro m’a dit sur le ton de la conversation courante : « Mandela, nous ne vous ramenons pas avec vos camarades. » Je lui ai demandé ce qu’il voulait dire. « A partir de maintenant, vous allez être seul. » Je lui ai demandé de nouveau pourquoi. Il a secoué la tête. « Je ne sais pas. Je viens de recevoir des instructions du quartier général. » Une nouvelle fois, il n’y avait ni avertissement ni explication.
Quand je suis arrivé à Pollsmoor, on m’a conduit dans une cellule du rez-de-chaussée, trois étages plus bas, et dans une autre aile. On m’a donné trois pièces et une salle de bains indépendante ; une chambre, une pièce pour travailler et une pour faire mes exercices. Un vrai palais, d’après les critères de la prison, mais l’appartement humide sentait le moisi et recevait très peu de lumière du jour. Je n’ai rien dit au général, parce que je savais que ce n’était pas lui qui avait pris la décision. J’avais besoin de temps pour réfléchir aux conséquences de ce déménagement. Pourquoi le gouvernement avait-il fait ce pas ?
Ce serait trop fort d’appeler cela une révélation, mais au cours des jours et des semaines qui ont suivi, j’ai pris conscience de ma nouvelle situation. J’ai décidé que ce changement n’était pas une contrainte mais une nouvelle possibilité. J’étais triste d’être séparé de mes camarades et je regrettais mon jardin et la terrasse ensoleillée du troisième étage.
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