Un long chemin vers la liberte
nous servit le thé et nous commençâmes à parler. Dès le début, nous n’eûmes pas l’impression d’être engagés dans une discussion politique tendue, mais dans un cours vivant et intéressant. Nous parlâmes moins de questions précises que de culture sud-africaine et d’histoire. Je mentionnai que j’avais lu récemment un article dans un magazine de langue afrikaans sur la révolte des Afrikaners de 1944, et je rappelai qu’ils avaient alors occupé des villes dans l’Etat libre d’Orange. Je dis qu’à mon avis notre lutte était parallèle à cette révolte célèbre, et nous parlâmes de cet épisode historique pendant quelque temps. Evidemment, l’histoire sud-africaine apparaît très différente à des Noirs et à des Blancs. Eux voyaient la révolte comme une querelle entre frères et ma lutte comme une révolution. Je dis qu’on pouvait aussi la considérer comme une lutte entre frères qui se trouvaient être de couleur différente.
La rencontre durait depuis à peine une demi-heure et avait été jusque-là amicale et cordiale. C’est alors que je posai une grave question. Je demandai à Mr. Botha de libérer inconditionnellement tous les prisonniers politiques, moi-même compris. Ce fut le seul moment de tension de la rencontre ; Mr. Botha dit qu’il avait peur de ne pouvoir le faire.
Il y eut alors une brève discussion pour savoir ce que nous dirions en cas de fuite sur cette rencontre. Nous rédigeâmes rapidement une déclaration disant que nous avions pris le thé pour promouvoir la cause de la paix dans le pays. Quand nous fûmes d’accord, Mr. Botha se leva et me serra la main en me disant que cela avait été un plaisir. Ça l’avait été en effet. Je le remerciai et repris le chemin par lequel nous étions venus.
Si cette rencontre n’avait pas marqué une avancée en termes de négociation, c’en fut une dans un autre sens. Mr. Botha avait longuement parlé de la nécessité de franchir le Rubicon, mais il ne l’avait jamais fait avant ce matin à Tuynhuys. Maintenant, je sentais qu’il n’y aurait pas de retour en arrière.
Un peu plus d’un mois plus tard, en août 1989, P.W. Botha annonça à la télévision sa démission en tant que chef de l’Etat. Dans un message d’adieu curieusement décousu, il accusa les membres du gouvernement de manquer de confiance, de l’ignorer et d’être aux mains du Congrès national africain. Le lendemain, F.W. De Klerk prêta serment comme président, et confirma son engagement vers le changement et les réformes.
Pour nous, Mr. De Klerk ne représentait rien. Quand il devint chef du Parti national, il semblait être la quintessence de l’homme d’appareil, rien de plus, rien de moins. Rien dans son passé ne semblait indiquer l’ombre d’un esprit de réforme. En tant que ministre de l’Education, il s’était efforcé de maintenir les étudiants noirs hors des universités blanches. Mais dès qu’il prit la direction du Parti national, je commençai à le suivre attentivement. Je lus tous ses discours, j’écoutai ce qu’il disait, et je compris qu’il représentait une rupture totale avec son prédécesseur. Ce n’était pas un idéologue mais un pragmatique, un homme qui considérait le changement comme nécessaire et inévitable. Le jour de sa prestation de serment, je lui écrivis une lettre pour lui demander un rendez-vous.
Dans son discours inaugural, Mr. De Klerk déclara que son gouvernement était attaché à la paix, et qu’il négocierait avec tout autre groupe attaché à la paix. Mais il ne prouva vraiment son attachement à un nouvel ordre qu’après sa nomination, lorsqu’une marche fut organisée au Cap pour protester contre les brutalités policières. L’archevêque Tutu et Allan Boesak devaient être en tête. A l’époque du président Botha, cette marche aurait été interdite, les manifestants auraient défié l’interdiction, et il en aurait résulté des actes de violence. Le nouveau président respecta sa promesse de limiter les restrictions sur les rassemblements politiques et autorisa la manifestation, en demandant seulement aux manifestants de rester calmes. Une main nouvelle et différente tenait la barre.
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Même quand De Klerk devint président, je continuai à rencontrer le comité secret de négociation. Nous fûmes rejoints par Gerrit VilJoen, le ministre du Développement constitutionnel, homme brillant, docteur ès lettres classiques, dont le rôle
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