Un long chemin vers la liberte
des villes ; de vieilles femmes qui avaient attendu un demi-siècle pour pouvoir voter, disant que, pour la première fois de leur vie, elles avaient l’impression d’être des êtres humains ; des Blancs, hommes et femmes, affirmant leur fierté de vivre enfin dans un pays libre. Pendant ces trois jours de scrutin, l’atmosphère du pays fut à l’optimisme. La violence et les attentats avaient cessé et nous avions l’impression d’être une nation qui renaissait. Même les difficultés logistiques, les bulletins qui n’étaient pas arrivés, les bureaux de vote pirates, les rumeurs de fraude dans certains endroits, rien ne put ternir la victoire écrasante de la démocratie et de la justice.
Il fallut plusieurs jours pour connaître les résultats. Nous avions obtenu 62,6 % des voix pour les élections nationales, un peu moins des deux tiers nécessaires si nous avions voulu faire passer une constitution finale sans l’aide d’autres partis. Ce résultat nous donnait 252 des 400 sièges de l’Assemblée nationale. L’ANC dominait entièrement le Transvaal nord et est, et l’Etat libre d’Orange. Nous avions obtenu 33 % des suffrages dans le Western Cape, où le Parti national était majoritaire, en ayant obtenu d’excellents résultats auprès des métis. Nous avions remporté 32 % au KwaZulu/Natal, dominé par l’Inkatha. Au Natal, beaucoup d’électeurs n’étaient pas allés voter à cause de la peur des violences et de l’intimidation. Il y avait aussi des accusations de fraude. Mais au bout du compte, cela n’eut aucune importance. Nous avions sous-estimé la force de l’Inkatha dans le KwaZulu et l’organisation l’avait démontré le jour du vote.
A l’ANC, certains étaient déçus que nous n’ayons pas franchi le seuil des deux tiers des suffrages, mais pas moi. En fait, j’étais soulagé ; si nous avions obtenu ces deux tiers et si nous avions rédigé une constitution que personne n’aurait pu modifier, les gens auraient parlé de constitution de l’ANC, et non de constitution de l’Afrique du Sud. Je voulais un vrai gouvernement d’unité nationale.
Le soir du 2 mai, Mr. De Klerk a fait un discours très agréable. Après plus de trois siècles de pouvoir, la minorité blanche reconnaissait sa défaite et transmettait le pouvoir à la majorité noire. Ce soir-là, l’ANC organisait une fête pour célébrer sa victoire dans la salle de bal du Carlton Center au centre de Johannesburg. J’avais la grippe et mes médecins m’ont ordonné de rester chez moi. Mais rien n’aurait pu m’empêcher d’assister à cette fête. Je suis monté sur scène à 21 heures, devant une foule de visages heureux, souriants, qui m’acclamaient.
J ’ ai expliqué que j ’ étais enroué à cause d ’ un rhume et que mon médecin m ’ avait conseillé de ne pas venir. « J ’ espère que vous ne lui direz pas que j ’ ai violé ses instructions », ai-je ajouté. J ’ ai félicité Mr. De Klerk de ses bons résultats. J ’ ai remercié tous ceux qui, dans l ’ ANC et le mouvement démocratique, avaient travaillé dur et pendant si longtemps. Mrs. Coretta Scott King, l ’ épouse du grand combattant pour la liberté Martin Luther King, était sur le podium ce soir-là, et je l ’ ai regardée en citant les paroles immortelles de son mari.
C’est un des moments les plus importants de la vie de notre pays. Je me tiens devant vous avec une fierté et une joie profondes – une fierté devant les gens simples et humbles de ce pays. Vous avez montré un tel calme, une telle détermination patiente pour réclamer votre pays, et maintenant la joie de pouvoir crier sur les toits : Libres enfin ! Libres enfin ! Je me tiens devant vous et votre courage me rend modeste ; j’ai le cœur rempli d’amour pour vous. Je considère comme le plus grand honneur qui soit de diriger l’ANC à ce moment de notre histoire. Je suis à votre service. […] Ce qui compte, ce ne sont pas les individus mais le collectif. […] L’heure est venue de soigner les vieilles blessures et de reconstruire une nouvelle Afrique du Sud.
Dès que les résultats ont été connus et qu’il est devenu évident que l’ANC allait former le gouvernement, j’ai considéré que ma mission était la réconciliation. Je devais panser les blessures, faire naître l’espoir et la confiance. Je savais que beaucoup de gens, en particulier les minorités, les
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