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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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pleine poitrine par la mitraille, et ma tête
à moi a explosé aussi.
    Quand
j'ai repris conscience, j'étais affalé au fond de la
cave, il faisait encore jour mais je devinais, sans savoir l'heure,
que c'était le soir, et les gros chaudrons tombaient partout
alentour et secouaient la terre, des 220 qui venaient de loin, j'ai
rampé contre un mur pour me mettre à l'abri au fond de
la cave, et alors, comme ça, j'ai senti sur ma figure du sang
séché, et aussi du sang gluant qui coulait encore.
    Ce
n'est pas une balle de mitrailleuse qui m'a frappé à la
tête, dit Cet Homme, mais une brique probablement, que la
mitraille a touchée et projetée sur moi, ou encore un
morceau de l’empannage de l'avion. Je ne sais pas. J'ai senti
le sang qui coulait sur ma figure, j'ai touché avec ma main
gauche mes cheveux poisseux, jusqu'à trouver ma blessure. Je
me suis dit que ce n'était pas la mort.
    J'ai
attendu. J'avais faim. J'avais froid. Les obus tombaient si dru que
j'ai vite compris que les Boches avaient dû évacués
les tranchées de première ligne, et les nôtres
aussi, car ce capitaine qui commandait à Bingo, je l'avais vu,
il n'était pas quelqu'un à laisser massacrer les siens
sur place.
    Ensuite,
j'entendais les roulements de chariot que font les gros noirs se
déplacer vers l'est, pendant qu'à l'ouest on devait
aussi taper dur sur les Anglais qui étant en jonction avec
nous. Quand le front s'embrase, il ne le fait en profondeur que sur
un point, sinon il s'étend de proche en proche, en largeur,
sur des kilomètres. J'ai repris à nouveau confiance. Je
me suis dit qu'il me fallait attendre encore, sans bouger de place,
que dans la confusion qu'il y aurait le lendemain, sur un front aussi
étendu, je gardais ma chance de sortir de nos lignes.
Qu'après, tant que j'en serais capable, je n'aurais plus qu'à
marcher.
    Je
me suis de nouveau endormi, dit Cet Homme. Par moments, un obus
tombait qui faisait trembler la cave et me couvrait de terre, mais
j'étais loin, je replongeais dans mon sommeil aussitôt.
    Brusquement,
quelque chose m'a réveillé. Je crois bien que c'était
le silence. Ou peut-être des voix dans le silence, inquiètes,
étouffées, et des pas dans la neige, oui, la neige qui
crissait. J'ai entendu : “Le Bleuet, il respire encore !”
Et quelqu'un a répondu : “Amène
ta lampe par ici. Vite !” Presque en même temps, les
chaudrons sont arrivés, plusieurs à la fois, avec des
sifflements aigus, le sol a basculé sous moi comme sous
l'effet d'un tremblement de terre, les explosions éclairaient
la cave, j'ai vu que la porte qui couvrait en partie mon trou
brûlait. Alors un des soldats que j'avais entendus, courbé
en avant, a descendu les marches et ce que j'ai vu d'abord était
ses bottes allemandes, puis la lumière d'une torche électrique
a balayé les murs et il est tombé la tête la
première, comme disloqué, auprès de moi.
    J'ai
ramassé la torche et j'ai reconnu un des caporaux de Bingo,
celui que l'Eskimo appelait Biscotte. Il geignait, il avait mal. Je
l'ai tiré comme j'ai pu au fond du trou, je l'ai assis contre
un mur. Il avait perdu son casque. Sa capote, par-devant, était
trempée de sang et il se tenait le ventre. Il a ouvert les
yeux. Il m'a dit : “Kléber est mort pour de bon. Je
voulais pas y croire." Après, dans un râle de
douleur, il m'a dit : “Je suis
fait, moi aussi." Ensuite, il n'a plus parlé. Il
gémissait doucement. J'ai voulu voir où il était
touché mais il a écarté ma main. J'ai éteint
la torche. Dehors, la canonnade s'était à nouveau
déplacée, mais on continuait de se taper des deux
côtés.
    Un
peu plus tard, le caporal a cessé de gémir. J'ai
rallumé la lampe. Il s'était évanoui. Il
respirait encore. Je l'ai débarrassé de ses musettes.
Dans l'une étaient des grenades, dans une autre des papiers,
des affaires personnelles. J ' ai vu qu'il s'appelait Benjamin
Gordes. Dans une troisième musette, j'ai trouvé un
morceau de pain, du fromage, une tablette de chocolat noir. J'ai
mangé. J'ai pris sa gourde. C'était du vin. J'ai bu
deux gorgées, j'ai éteint la torche. Dehors, au-dessus
de ma tête, la porte avait cessé de brûler. Le
ciel s'éclairait sans trêve des lueurs des combats. Je
me suis rendormi.
    Quand
j'ai rouvert les yeux, c'était tout juste avant l'aube, le
caporal n'était plus près de moi, mais affalé en
travers des marches de la cave. Je pense qu'en sortant de son
évanouissement, il a voulu se

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