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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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le tirant par le
col de sa capote, jusqu'à lui parler sous le nez : “Essaye encore une fois tes simagrées, je te jure sur
mes boules que je te fais sauter ce qui te sert de cervelle  ! ”
    Là-dessus,
il m'a entraîné dans la cagna pour me dire que ma
mission était terminée, que je pouvais repartir avec
mes pépères. J ' étais embêté
de devoir ergoter, mais je lui ai répondu que ma mission était
de conduire les prisonniers jusqu'à Bingo Crépuscule,
pas ailleurs.
    Le
capitaine m'a fait valoir que les Boches pouvaient s'alarmer et les
choses tourner mal quand on balancerait du monde dans le bled. La
place de mes hommes n'était pas là-bas, dans une
tranchée déjà trop encombrée. S'il y
avait du grabuge et qu'ils écopent d'un mauvais coup, je
regretterais toute ma vie de les avoir inutilement exposés.
    Qui
lui aurait donné tort ?
    Je
lui ai dit : “je vais les renvoyer vers l'arrière
mais permettez au moins que j'accompagne jusqu'au bout ces pauvres
gens. ” Ainsi avons-nous fait. Boffi est parti avec mes hommes.
Ils devaient m'attendre à l'entrée des boyaux.
Évidemment, ils étaient suffisamment repus de la sale
besogne pour s'en aller sans regret.
    Deux
caporaux et six soldats sont arrivés de Bingo-Crépuscule
pour emmener les condamnés. Les caporaux étaient de
trente ans. L'un, qu'on appelait Gordes, avait des cercles de terre
autour des yeux qui lui donnaient l'air d'un hibou. L'autre était
un Tourangeau que j'avais l'impression d'avoir déjà
rencontré à la guerre, Chardolot. Avec Célestin
Poux et le capitaine et moi, nous étions à nouveau onze
comme escorte.
    Nous
nous sommes mis en marche dans la nuit d'hiver, précédés
d'une seule lanterne. Dans les boyaux, le capitaine m'a raconté
qu'il avait coincé deux fois son commandant au téléphone,
qu'il lui avait dit la barbarie de traiter cinq des nôtres de
cette manière, dont un Bleuet qui n'avait même plus sa
raison, mais sans rien obtenir. On glissait sur des caillebotis
submergés par la gadoue. J'entendais à l'avant le bruit
de succion que faisaient les bottes allemandes de l'Eskimo.
    J'ai
dit au capitaine : “ Celui-là, dès que les
Boches s'apercevront qu'il a les bottes d'un des leurs, son compte
est bon. ” Il m'a répondu : “Pourquoi
croyez-vous que les charognes, après le procès, l'ont
laissé ainsi ?” Et puis, il m'a dit : “On
trouvera quelqu'un avec des souliers à sa taille pour faire
l'échange. Au moins, j'aurai quelque chose à écrire
sur mon rapport de cette nuit. Rien à signaler sauf qu'on nous
a piqué une paire de godasses. ”
    Bingo
Crépuscule, comme d'ailleurs la place de l'Opéra, était
une tranchée renversée, ce qui veut dire que nous
l'avions prise aux Allemands à l'automne et que nous avions
relevé au plus vite les parapets face à eux. Tous les
biffins vous accorderont que les Boches construisaient des tranchées
bien meilleures que les nôtres. Celle-là était
tout en chicanes au cordeau et pourvue d'abris solides,
malheureusement ouverts du mauvais côté. J 'i gnore
combien d'hommes vivaient là, peut-être une centaine,
peut-être deux cents. J'ai deviné sous des bâches,
dans deux abris, des mitrailleuses. Par-delà un vallonnement
de neige, crevassé par les bombes, étaient les pâles
lueurs de la ligne ennemie. Elle était si proche que venaient
jusqu'à nous de tranquilles rumeurs, des bouffées
d'harmonica. J ' ai demandé la distance exacte. C'est le
lieutenant Estrangin, je crois, qui m'a répondu :
cent-vingt mètres au plus près, cent cinquante au plus
loin.
    Je
n'ai jamais vu de jour Bingo Crépuscule, mais je peux me le
figurer. J ' ai connu des tranchées. Encore plus
rapprochées, des enfers que ne séparaient pas quarante
mètres. Cent vingt, c'est trop pour les grenades à
main, trop peu pour l'artillerie. Les gaz n'épargnent
personne, c'est selon le vent. Pas plus que nous, les boches ne
devaient tenir, sauf débordés par une attaque, à
dévoiler l'emplacement de leurs mitrailleuses. J'ai cru
comprendre pourquoi on avait amené les condamnés dans
ce secteur : pour le secouer un peu, parce qu'on voyait d'un
mauvais œil la trêve qui, vaille que vaille, s'y était
installée. Je l'ai dit au capitaine. Il m'a répliqué : “Vous pensez trop pour un sergent. Si on nous a collé
cette merde sur les bras, c'est que personne n'en voulait ailleurs.
Ils l'ont trimbalée sur tous les fronts sans trouver un chef
de bataillon aussi con que le

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