Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
Vom Netzwerk:
Mathilde. Si je vous ai rien
dit, si j'ai rien dit à personne, même à ma
femme, c'est que je pouvais pas. Quand Manech est parti avec les
chasseurs à pied, je l'ai embrassé, j'en avais gros sur
le cœur, je vous le jure. Il a murmuré à mon oreille : “Surtout, dis rien, au
pays" Mais il l'aurait pas demandé, c'était
pareil. Pourquoi je serais allé faire encore plus de chagrin à
sa pauvre mère, à son père, à vous  ? Et puis, les gens sont tellement bêtes, même par chez
nous. Ils savent pas ce que c'était. Ils auraient parlé
mal de Manech. Il le méritait pas. S'il est mort, lui aussi,
c'est bien la faute à la guerre, comme tous les autres. Pas vrai ?
    Quand
Mathilde retourne à l'hôpital de Dax, Daniel Esperanza
est au lit, dans une chambre tapissée de rose, en chemise de
nuit grisâtre comme son teint. C'est un mardi, quatre jours
après leur conversation dans le parc. Sœur Marie de la
Passion n'est pas contente que Mathilde soit revenue si vite. Il a
été fatigué. Il tousse beaucoup. Mathilde promet
de ne pas rester longtemps.
    La
dernière fois, en le quittant, elle lui a demandé ce
qui lui ferait plaisir. Il a répondu tristement :
    “Rien
merci, je ne fume plus." Elle lui offre des chocolats. Il lui dit : “Vous êtes gentille,
mais je ne pourrai pas les manger, ils emporteraient mes dents.”
Il trouve quand même la boîte très jolie. Il veut
bien donner ses chocolats aux autres malades mais qu'on lui rende la
boîte. Avant de quitter la chambre, sœur Marie verse les
chocolats dans la poche-kangourou de son tablier d'infirmière,
en goûte un et déclare : “Ils sont bons. Ils sont très bons.
    J'en
garderai pour moi."
    Mathilde
a préparé par écrit une liste de questions.
Daniel Esperanza la regarde déplier sa feuille de papier à
dessin avec des yeux craintifs. Il a deux oreillers dans le dos. La
boîte de chocolats, illustrée d'un sous-bois en automne,
est exposée sur sa table de chevet, appuyée à un
réveille-matin dont elle masque l'heure, on entend seulement
le tic-tac.
    D'abord
pourquoi a-t-il tardé longtemps avant de révéler
à Mathilde ce qu'il savait ?
    Au
printemps de cette année, marchant encore avec peine mais se
croyant blanchi de la grippe assassine, il est venu en carriole
jusqu'à Cap-Breton pour s'entretenir avec les parents de
Manech. Au dernier moment, après bien des tours et des détours
sans trouver leur maison, il a renoncé à aller chez
eux. Il ne voyait plus pourquoi il était là ni quel
réconfort il pouvait leur donner. Il a poussé alors son
cheval jusqu'à la villa Poéma, s'est arrêté
devant le portail blanc. Mathilde était au fond du jardin,
assise dans un fauteuil au milieu de ses chats, en train de peindre.
Elle lui est apparue si jeune. Il est reparti.
    Ensuite,
il est retombé malade. Il a parlé de sa guerre à
sœur Marie, qui est de Labenne, tout près de Cap-Breton.
Mathilde ne s'en souvient pas mais elle a croisé sœur
Marie bien des fois quand elle était gamine et prenait des
bains d'eau chaude avec les enfants du sanatorium. La religieuse
s'était laissé dire que Mathilde, après
l'armistice, avait entrepris des démarches, comme beaucoup
d'autres veuves blanches, pour épouser son fiancé
disparu. Elle a persuadé Esperanza d'intervenir. Nul mieux que
lui ne pouvait certifier vraie la dernière lettre de Manech et
sans équivoque sa volonté de mariage.
    Mathilde
remercie. Elle n'éprouve pas le besoin d'ajouter qu'elle a
reçu, écrites par Manech lui-même, des dizaines
de lettres aussi convaincantes. Il est des obstacles plus pénibles
à son projet. L'âge, surtout. Apparemment, Manech était
assez grand pour se faire tuer, pas pour décider seul de se
marier. Or, depuis que Mathilde s'est ouverte aux Etchevery qui
l'aimaient autrefois, ils redoutent de la voir. Le père, qui a
vendu son bateau de pêche mais possède un parc à
huîtres sur le lac d'Hossegor, la tient carrément pour
une intrigante. La mère, aux nerfs bien éprouvés
par la perte de son fils unique, s'est roulée sur le sol en
criant qu'on ne le lui prendrait pas deux fois.
    Les
parents de Mathilde n'ont pas plus de bon sens. Son père a dit
jamais moi vivant, sa mère a cassé un vase. Au vu du
certificat d'un médecin de la rue de la Pompe, chez qui
Mathilde s'était fait conduire pour qu'il atteste
l'irréparable ils ont sombré trois bonnes heures dans
les bras l'un de l'autre, sous les décombresdes illusions perdues. Son père

Weitere Kostenlose Bücher