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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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s'en vont, qui dort le reste du temps en faisant des
pets. Chaque fois qu'elle l'entend Bénédicte dit : “Chien qui pète, joie sur ma tête. ”
    Une
autre vie aussi, pendant la guerre, c'était les enfants de
Soorts, le bourg voisin, privés d'instituteur. Il en venait
douze et puis quinze chez Mathilde, de six à dix ans, et elle
avait transformé une pièce de la villa en salle de
classe. Elle leur apprenait l'écriture, le calcul, l'histoire,
la géographie et le dessin. En juillet 18, veuve déjà
depuis plus d'un an de son fiancé, elle leur a fait jouer un
bout de Molière devant les mamans, le maire et le curé.
La Petite Sandrine emmasquée en bonnefemme
maltraitée par son mari, quand le voisin, monsieur Robert,
s'interpose, était incapable de dire  : " Il me plaît, à moi d'être battue "
Elle disait : “Et si jeveux qu'il me tape, ça te regarde ? ”
Et vlan, elle donnait une gifle à Hector un des fils Massette,
qui jouait monsieur Robert. Aussitôt, elle se reprenait, main
sur la bouche : “Non, c'est pas
ça. Je veux pas que tu te mêles de mes histoires !”
Et vlan, une autre gifle. “Non, c'est pas ça. Mais si ça
me chante que mon époux me batte ? ” Et encore une autre gifle. Le petit Massette pleurait, il a
fini par rendre la claque, les mères s'en sont mêlées , la pièce s'est terminée en Puglilat, comme Hernani.
    Mathilde
depuis sa " maladie” c'est-à-dire plus de quinze
ans n'a guère passé de jours sans gymnastique. Son père
ou sa mère ou Sylvain manipule ses jambes. Longtemps le
rebouteux de Seignosse, monsieur Planchot, est venu sur sa bécane
trois fois par semaine, à neuf heures tapantes, pour lui
imposer des mouvements allongée sur le dos ou sur le ventre,
lui masser les épaules, la nuque et la colonne vertébrale.
Il a pris sa retraite. Depuis l'armistice, un guide-baigneur de
Cap-Breton le remplace, avec moins d'exactitude mais des muscles plus
avantageux  : Georges Cornu, un fier
moustachu qui a concouru à la nage
aux championnats d'Aquitaine etfait la
guerre comme instructeur dans la marine. Il ne parle pas beaucoup. Au
début, Mathilde était bien honteuse qu'il la tripote
sur tout le corps, même les fesses, et puis, elle s'y est
habituée, comme au reste.
    C'est
quand même plus agréable que ce qu'on doit subir dans
les hôpitaux. Elle ferme les yeux. Elle se laisse pétrir.
Elle imagine que Georges Cornu admire ses formes et n'en peut plus de
désir. Une fois, il lui a dit : “ Vous êtes drôlement bien bousculée,
mademoiselle. Et je peux vous assurer que j'en vois." Ensuite
Mathilde ne savait plus si elle devait l’appeler Mon cher
Georges, Mon très cher Georges ou Jojo.
    C'est
vrai que Mathilde n'est pas laide. Enfin, elle trouve. Elle a de
grands yeux verts ou gris, selon le temps, comme sa mère. Elle
a un petit nez droit, de longs cheveux châtain clair. Pour la
taille, elle tient de son père. Quand on la déplie,
elle mesure cent soixante-dix-huit centimètres. Il paraît
que c'est d'avoir passé beaucoup de temps couchée qui
l'a faite ainsi. Elle a de très beaux seins. Elle est fière
de ses seins, qui sont ronds, lourds, plus doux que la soie. Quand
elle en caresse les bouts, elle a bientôt envie d'être
aimée. Elle s'aime toute seule.
    Mathilde,
comme son arrière-grand-mère inventée, est une
belle coquine. Avant de s'endormir, elle s'imagine dans des
situations troublantes, toutes plus invraisemblables les unes que les
autres, encore qu'elles tournent toujours autour du même thème
simplet : elle est la victime d'un inconnu - elle ne voit jamais
vraiment son visage - qui la surprend quelque part en chemise, ne
peut résister à la formidable envie qu'il a d'elle, la
cajole, la menace, la dénude, jusqu'à ce qu'elle se
résigne à l'inévitable ou l'appelle de tous ses
vœux. La chair est si forte. Mathilde a rarement besoin d'aller
aux ultimes péripéties de ses divagations Pour que le
plaisir l'emporte, si impératif, si aigu parfois qu'il lui
semble s'irradier jusque dans ses jambes. Elle s'enorgueillit de ce
plaisir et d'en être capable, qui la rend pendant quelques
poussières d’éternité, pareille aux
autres.
    Jamais,
depuis l'annonce de sa disparition, Mathilde n'a pu supporter la
pensée de son fiancé quand elle se contente. Et il est
de longues périodes où elle a honte d'elle-même
et se déteste et se jure biende fermer sa porte aux
inconnus. Autrefois, même avant qu'ils aient fait l'amour et
durant

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