Un long dimanche de fiancailles
lesmois où il était
au front, elle ne se voyait pourtant qu'avec Manech en se donnant du
plaisir. C'est comme ça.
Il
y a aussi les rêves, les bons et les horribles, qui gouvernent
Mathilde endormie. Il arrive qu'elle s'en souvienne au réveil.
Elle sait qu'elle courait à perdre haleine dans les rues de
Paris, dans la campagne, dans la forêt d'Hossegor. Ou bien elle
descend d'un train, dans une gare étrangère, peut-être
pour retrouver Manech, et le train repart en emportant tous ses
bagages , personne ne peut dire où il
va c'est tout une histoire . Ou bien alors
elle vole dans le grand salon de la rue Fontaine, à Auteuil,
où sesparents habitent maintenant.
Elle plane au ras du plafond, entre les lustres de cristal , descend, remonte et en fait tant qu'en s’éveillant, elle
est trempée de sueur.
Allons,
il suffit. Mathilde s'est présentée. Elle pourrait
continuer ainsi pendant des heures, ce serait toujours aussi
passionnant, mais elle n'est pas là pour raconter ses vies.
Aristide
Pommier a vingt-sept ans, les cheveux frisés, la myopie
sévère. Il vit à Saint-Vincent-de- Tyrosse. Il
était aux cuisines dans le même régiment que
Manech en 1916. Après les combats de l'automne, profitant
d'une permission, il est venu voir Mathilde, porteur de bonnes
nouvelles de son fiancé, d'une photo souriante et de pendants
d'oreilles troqués avec les tommies, il n'a pas dit contre
quoi. À l'entendre, tout allait pour
le mieux dans la meilleure des guerres. Et puis, pressé de
questions inattendues, les joues rouges et les carreaux embués,
il a changé de chanson. Il a raconté ce jour d'été
où Manech, inondé du sang d'un autre et arrachant ses
vêtements, a été ramené nu vers l'arrière,
et aussi ce conseil de guerre pour un ictère provoqué,
la relative indulgence des juges, les tremblements sans raison.
Quelques
mois plus tard, en avril 17, alors que les Etchevery avaient reçu
confirmation de la mort de leur fils, Aristide Pommier est revenu en
permission pour épouser la fille d'un exploitant forestier de
Seignosse, son patron. Mathilde n'a pu lui parler que deux minutes à
la sortie de l'église. Il était désolé
pour Manech, un brave garçon. Mais lui-même n'allait pas
au feu, sinon celui de ses fourneaux, il n'avait rien vu, rien
entendu, il ne savait rien de ce qui s'était passé.
Ensuite,
il est resté muet sous la pluie qui fait les mariages
durables, boudiné dans un uniforme qu'il n'avait plus
d'horizon mais qu'il ne quitterait probablement même pas pour
sa nuit de noces, et Mathilde, évidemment, l'a traité
de mange-merde, et il était là, immobile, la tête
basse, les cheveux dégoulinants, le regard fixé à
cinq centimètres du bout de ses godasses, supportant tous les
gros mots d'une trouble-fête qui adore en dire, jusqu'à
ce que Sylvain emmène la harpie loin de tout, chez elle, loin
de tout.
Démobilisé
cette année, Aristide Pommier a repris son travail de
résineux, mais depuis qu'il en est le gendre, il ne s'entend
plus avec son patron. Ils se sont battus. Le beau-père s'est
ouvert le front en cassant les lunettes d'Aristide d'un coup de tête.
Bénédicte, qui est pour Mathilde la gazette des Landes,
prétend que l'Aristide veut s'expatrier avec sa femme grosse
et les deux marmottes qu'ils ont déjà. Elle ajoute,
comme elle l'a entendu raconter des valeureux poilus sous les
bombes : “ Tout ça finira mal. ”
Il
est arrivé à Mathilde de croiser en chemin Aristide
Pommier, quand elle se fait conduire sur le port ou au bord du lac,
mais il se contente de la saluer, il détourne la tête et
appuie sur les pédales de sa bicyclette. Après les
révélations d'Esperanza, elle ne le déteste
plus. Elle comprend bien que le jour de son mariage et pendant tous
ces mois, il s'est tu pour épargner dans le pays le souvenir
de Manech. Elle veut le voir. Elle lui dira qu'elle sait. Elle lui
demandera pardon comme la fille bien élevée qu'elle est
quand elle ne traite pas les gens de mange-merde. Il n'aura plus de
scrupule à défendre, il lui parlera.
Tout
en la pétrissant de ses grandes mains de nageur, Georges Cornu
lui dit : “ Aristide ? Vous ne le trouverez pas
aujourd'hui, il est en forêt. Mais aux joutes de demain, vous
pouvez venir le repêcher dans le canal, on fait partie de la
même équipe."
Le
lendemain, dimanche, Sylvain conduit Mathilde aux rives du Boudigau,
déplie la trottinette et l'y installe sous une ombrelle. Il y
a beaucoup de
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