Un long dimanche de fiancailles
revienne me voir, et dans combien de temps,
maintenant, parce qu'elle m'a quittée après une colère
en me faisant la tête, à cause que j'insistais trop, je
ne peux rien faire, rien, sinon de me ronger les sangs.
Si
je vous réponds, c'est que j'ai montré votre lettre à
madame Isola, l'amie dont je vous ai parlé qui est estimée
de tout le monde et de très bon conseil, et elle m'a dit
pauvre de toi, fille de Caserte, que j'allais mourir à petit
feu si je vous expliquais pas la situation telle qu'elle est, qu'on
gagne jamais rien à mentir, on y perd son sommeil et sa
vergogne.
Alors
voilà. J ' ai revu
Valentina le dimanche 9 de ce mois, après plus d'une année
qu'elle avait disparu, et c'était au début de
l'après-midi, elle avait un manteau de velours bleu de nuit
avec un col de castor et un bonnet et un manchon assortis, des choses
qui doivent coûter les yeux de la tête, mais sûrement
que quelqu'un lui a offert ça pour Noël, elle était
toute pimpante et jolie et l'air contente, les joues rouges du froid
du dehors et ses beaux yeux noirs brillants, j'étais si
heureuse de la revoir et de l’embrasser, il a fallu que
m'assoie. Elle m'apportait à moi aussi des cadeaux, une
couverture en laine des Pyrénées, des pantoufles, des
oranges d'Espagne, et une petite croix en or véritable que
depuis je porte au cou, même la nuit, oui, j'étais
contente, vous ne pouvez pas vous imaginer. Après, j'ai tout
gâché, tout, en lui donnant votre lettre du mois
d'octobre et quand je lui ai dit que je vous avais répondu.
Elle s'est emportée comme un coup de mistral, elle m'a dit :
“De
quoi tu te mêles ? Et qu'est-ce que tu lui as raconté ?
Tu ne vois donc pas que cette fille de la haute, avec ses belles
paroles, ne cherche qu'à nous embobiner ? ” Et puis, d'autres choses que je ne veux pas dire, c'est trop
méchant, parce que je suis bien certaine, moi, que dans votre
lettre, vous ne lui disiez que la vérité, que votre
pauvre fiancé avait connu Ange Bassignano à la guerre
et que vous vouliez lui parler, rien de plus.
Finalement,
elle n'est pas restée chez moi une heure, et ses joues
n'étaient plus rouges du froid mais de la colère, elle
marchait d'un côté à l'autre de la cuisine en
faisant claquer ses talons, et moi j'étais sur ma chaise à
ne pas vouloir pleurer, mais à la fin je ne pouvais plus me
retenir et alors, elle m'a dit en tendant son index droit sous mon
nez : “Pleurer, ça n'arrange rien, marraine Bianca.
Est-ce que je pleure, moi ? Je t'ai dit un jour que ceux qui ont
fait du mal à Nino, je leur ferai sauter la caisse. Depuis que
tu me connais, tu m'as déjà vue changer d'avis ? ”
Elle
me faisait tellement peur que je ne reconnaissais plus son visage, je
ne reconnaissais plus ma filleule, j'ai dit : “Mais de
quoi tu parles, de quoi tu parles, espèce de folle ? En
quoi cette demoiselle a fait du mal à ton Napolitain de
malheur ?” Elle a crié : “Je m'en fous de celle-là, mais moi , je lui parle pas ! Comme ça,
elle peut rien répéter ! Je veux plus que tu lui répondes, c'est mon affaire, pas la tienne ! Si elle t'écrit
encore, fais comme moi ! ”
Là-dessus, elle a pris le tisonnier pour soulever le couvercle
de ma cuisinière et elle a jeté votre lettre dedans, en
la froissant en boule, avec une méchanceté que jamais,
je vous l'assure, je pouvais soupçonner chez elle, même
quand elle avait quinze ans et montait sur ses grands chevaux chaque
fois qu'on lui faisait une réflexion.
Après,
elle a dit qu'elle avait à faire à l'autre bout de la
ville, elle m'a embrassée sur le pas de la porte, mais le cœur
n'y était plus, j'ai écouté ses talons descendre
l'escalier, je suis allée à la fenêtre de la
cuisine pour la voir s'éloigner dans l'impasse, je pleurais
parce qu'elle était si petite d'en haut et si mignonne avec
son col de castor et sa toque et son manchon, j'ai tellement peur de
ne plus la revoir, tellement peur.
Je
reprends ma lettre ce dimanche matin, je n'ai plus les yeux pour
écrire si long, vous devez commencer à être
habituée. Hier soir, j'avais encore mal de penser à
Valentina et à la scène qu'elle m'a faite, mais ce
matin il y a un beau soleil sur le quartier, je me dis que le
printemps la ramènera, ça va mieux et je suis soulagée
d'un grand poids de vous avoir dit la vérité. Vous me
demandez, dans votre lettre, pourquoi j'ai écrit en octobre, à
propos de Ange Bassignano, “ lui, qui est mort
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