Un long dimanche de fiancailles
comme un chien,
probablement de la main de soldats français". Parce que
ça m'a échappé, parce que je peux pas m'imaginer
qu'il est mort autrement que je l'ai vu vivre, je sais que je ne
devrais pas parler de lui comme ça, surtout avec la croix que
je porte au cou, mais c'est plus fort que moi, j'ai jamais cru qu'il
s'était fait tuer en attaquant l'ennemi à la baïonnette
comme on voit sur les images, il était bien trop pétochard
pour ça, il a sûrement fait comme d'habitude une
saloperie ou une grosse bêtise quelque part et on l'a fusillé
tout de bon cette fois, et bien sûr on a pas voulu le dire,
parce que c'est pas pour remonter le moral des autres et que ça
éclabousse le drapeau.
Pour
le mot de Valentina que je vous ai écrit aussi et que vous me
demandez d'expliquer, qu'elle avait retrouvé la trace de son
Nino dans un secteur de la Somme et qu'il fallait le “
considérer comme mort”,
Je
peux pas vous assurer que c”est exactement comme ça
qu'elle l'a dit, mais c'est ce qu'elle a voulu dire, que c'était
une chose terminée et qu'on devait plus en parler, c'est
d'ailleurs ce qu'on a fait les autres fois qu'on s'est vu, on n'en
parlait plus.
Quand
ma filleule reviendra me voir, je vous l'assure, très chère
mademoiselle, je dirai la vérité à elle aussi,
que je vous ai écrit, même si elle doit me faire une
colère et m'en vouloir encore, parce que je sais qu'elle a le
cœur bon et que je finirai bien par lui enlever sa méfiance,
et si vous la rencontrez un jour, j'en serai heureuse, vous verrez
qu'elle méritait mieux que la vie qu'elle a eue et tous les
chagrins qu'on lui a faits, mais c'est le sort de tout le monde
malheureusement.
Je
forme pour vous mes plus belles pensées et mes meilleurs vœux
de bonne année, ainsi que madame Isola et madame Sciolla.
Salutations
distinguées,
Madame
Veuve Paolo Conte, née Di Bocca.
Pierre-Marie
Rouvière,
75,
rue de Courcelles,
Paris.
Ce
3 février.
Ma
petite Matti,
Je
n'approuve pas l'initiative que tu as prise de faire paraître
cette annonce dans les journaux. Je n'approuve pas non plus, même
si je la comprends, l'indulgence regrettable de ton père
envers toi. J e me suis
permis de le lui dire et je veux que tu le saches.
J'ai
bien réfléchi, depuis notre dernière rencontre.
S'il
m'apparaît, en effet, que des contretemps, des difficultés
de transmission, voire la mauvaise volonté à un échelon
ou un autre ont pu permettre l'infamie à laquelle tu crois, je
vois encore moins le bénéfice que tu retireras de
l'ébruiter. Tu sembles agir comme si, contre toute évidence,
de manière purement viscérale, tu refusais d'accepter
que Manech soit mort. Je respecte l'obstination de ton amour et ce
n'est pas à moi, qui suis avant tout ton ami, de la dissuader.
Ce que je veux te dire est plus simple ou, excuse-m'en, plus brutal :
n'oublie jamais que, pour être gracié,
Jean
Etchevery n'encourt pas moins le bagne à vie. Si par
merveille, par reconnaissance inouïe de Dieu pour cette
obstination, tu devais le revoir un jour, combien regretterais-tu
d'avoir alerté la terre entière, puisqu'il ne s'agirait
plus alors que de le cacher pour lui éviter de purger sa
peine.
Je
te demande, je te supplie, ma chérie que je sais si impulsive,
mais la tête si bien fabriquée quand il le faut,
d'interrompre la publication de cette annonce et d'observer désormais
la plus grande prudence. Ne t'en remets qu'à moi pour la
vérité que tu cherches.
Comprends
que si un seul des cinq s'était tiré d'affaire, tu
serais un danger pour lui, et cela vaut évidemment pour
Manech, mais qu'en outre ceux qui auraient, de près ou de
loin, participé à l'injustice ne pourraient, pour la
celer, qu'être tes ennemis.
J'espère
que je me fais bien comprendre. Je t'embrasse avec le même cœur
que lorsque tu étais enfant.
Pierre-Marie.
À
cette lettre, Mathilde répond qu'elle n'est plus une enfant,
c'est tout.
Olivier
Bergetton,
Confectionneur
de jouets animés,
150,
avenue de la Porte-d'Orléans, Paris.
Lundi
15 mars 1920.
Mademoiselle,
J'ai
connu un caporal Gordes. Si c'est celui que vous dites, c'était
dans la Somme, entre Combles et le bois de Saint-Pierre-Vaast.
J'étais vaguemestre et, bien qu'appartenant à un autre
régiment, j'ai pris des lettres pour lui et son escouade en
automne 1916, parce que ça me faisait mal au cœur que
leur courrier, pour des raisons que je vous dis pas, sauf que c'était
encore la bêtise d'un
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