Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
Vom Netzwerk:
plus et leurs
chamailleries aussi. Ils sont presque intimidés de se
retrouver. Bénédicte lui dit : «  J 'en
avais oublié que tu étais si bel homme ! »
Et lui, qui est un gaillard , ne sait que
faire de son grand corps, arrache son col dur avec la cravate, lisse
sa moustache roussâtre d'un revers de la main, le sourire
niais, les yeux partout mais pas sur elle.
    Mathilde
retrouve ses chats, qui ne sont pas intimidés le moins du
monde, qui se contentent de la suivre où vont les roues de son
fauteuil. Elle retrouve aussi le goût du vent salé, la
vue des dunes, par-delà les fenêtres, où Manech
l'embrassait, serrée fort contre lui, désireuse,
désirée, pareille aux autres.
    Cette
nuit du retour, assise à sa vraie table, dans sa vraie
chambre, Dieu merci de plain-pied, entourée de ses
photographies et de ses chats, elle écrit sur une feuille à
dessin :

    Variété
du numéro 4 de l’île Maurice, un 2 pence bleu
imprimé par planches de douze, en 1848. C ' est le
septième timbre de la planche qui présente l'erreur
d'orthographe, due à l'embardée du burin du graveur,
PENOE au lieu de PENCE.
    Neufs ou oblitérés, ces deux petits sous valent
aujourd ' hui une fortune.

    Et
plus bas, sur sa feuille :

    Un
état des pertes se trafique. S ' en tenir désormais
à la lettre du capitaine Favourier. À l'aube du
dimanche, ils sont encore tous les cinq vivants.

Le coffre en acajou

Véronique
Passavant,
    16,
rue des Amandiers,
    Paris.
    10
janvier 1920.

    Mademoiselle,
    Je
suis passée, avant-hier samedi, chez Petit Louis pour lui
souhaiter la bonne année. Il m'a raconté votre
conversation, un soir de l'automne dernier, et m'a répété
à peu près ce qu'il vous avait dit.
    Je
voudrais d'abord pas que sur ma rupture avec Kléber Bouquet, à
qui on disait l'Eskimo, il y ait de malentendu, parce que j'aimais
Kléber pour de bon, jusqu'à la moelle, et j'ai beaucoup
souffert de mon entêtement envers lui. Mais j'étais sûre
qu'à sa première permission, on se réconcilierait,
je pensais pas qu'il allait mourir à la guerre. Pour me
rassurer, il disait toujours qu'il avait des relations et qu'on
l'envoyait jamais dans les mauvais coups, et puis ça me
paraissait impossible qu'il meure, d'ailleurs il y a des nuits où
je le crois toujours pas et je vais vous dire pourquoi.
    Je
l'ai pas dit à Petit Louis, parce que ça sert à
rien de faire encore plus de mal, mais une femme est venue me trouver
au début mars 1917, à mon travail, et c'est elle qui
m'a appris ce que je devine que vous savez déjà depuis
longtemps, mademoiselle, et que vous non plus vous n'avez pas voulu
dire à Petit Louis, cette histoire de coup de fusil dans la
main et la condamnation de Kléber.
    La
femme en question revenait de la zone des armées où son
homme à elle avait été condamné
pareillement, avec trois autres encore, alors je me dis que votre
fiancé était lui aussi parmi ceux-là. La femme
m'a dit qu'ils n'ont pas été fusillés mais
emmenés en première ligne pour se faire tuer par les
Allemands. Ce qu'elle savait d'autre, elle me l'a pas dit, c'est elle
qui voulait savoir si j'avais des nouvelles de Kléber ou si je
l'avais revu vivant depuis janvier, à se cacher quelque part
ou n'importe quoi. Je lui ai assuré que non. Vous pensez bien
qu'elle ne m'a pas crue, et elle avait à moitié raison,
parce que si Kléber, je le savais vivant, il est bien certain
que je tiendrais ma langue.
    Toujours
est-il qu'elle en savait plus qu'elle disait, pour me poser toutes
ces questions, alors je pense qu'elle espérait que son homme à
elle était encore vivant, comme vous espérez pour le
vôtre et moi pour le mien. Est-ce que j'ai bien saisi ?
Sûrement, puisque vous aussi, vous êtes venue poser des
questions à Petit Louis et, quelque temps après, votre
père l ' a réveillé en pleine nuit pour le
cuisiner encore, l'air de rien savoir, en hypocrite, à moins
que même avec votre père vous ayez tenu vous aussi votre
langue.
    Il
me semble maintenant que nous sommes dans le même bain et qu'on
devrait, au moins entre nous deux, être plus bavardes. C'est ça
que je voulais vous écrire. Petit Louis m'a dit que vous êtes
paralysée des jambes, à cause d'un accident quand vous
étiez gamine, je comprends que vous ne pouvez pas facilement
vous déplacer, ma pauvre demoiselle, mais au moins vous pouvez
répondre à cette lettre, c'est sûrement plus
facile pour vous d'écrire que pour moi qui n'ai

Weitere Kostenlose Bücher