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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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guère
d'instruction, vous vous en doutez déjà. Mais je suis
pas bête et je voudrais qu'on mette, toutes les deux, cartes
sur table.
    Moi,
c'est d'instinct, et seulement par moments, que je crois mon Kléber
encore en vie. J'ai aucune raison, aucune, même la plus petite,
pour douter qu'il est mort en janvier 17, c'est seulement cette femme
qui m'a déboussolée avec son histoire. À mon avis, elle ne savait pas non plus si son homme était
vivant, mais elle a appris quelque chose qu'elle garde pour elle et
qui prouve que l'un au moins des soldats condamnés a pu
réchapper. Si j'ai bien saisi, ils étaient cinq. Pour
vous montrer que je suis franche, je vais vous dire un détail,
dans son histoire, qui me donne un petit espoir pour Kléber,
c'est qu'il y avait de la neige où on les a envoyés se
faire tuer, alors je pense qu'il avait une chance de plus que les
autres de rester vivant, la neige et le froid il les a vécus
bien pires. C'est rien du tout, mais vous devez le savoir vous aussi,
on se raccroche à n'importe quoi.
    Peut-être
cette femme à l'accent du Midi est-elle venue également
vous trouver ? Je vous en prie, dites-le-moi, et si vous en
savez plus que j'en sais, soyez sincère. Je vais languir de
votre réponse, aussi ne me faites pas souffrir. Petit Louis
m'a dit que vous étiez quelqu'un de bien. Ne me faites pas
souffrir.
    Véronique
Passavant.

    Mathilde
répond à cette lettre qu'elle ne sait pas de quoi on
parle, qu'elle doit aller a Paris au printemps ou en été,
qu'on se verra.
    Elle
écrit ensuite à la brave madame Paolo Conte, à
Marseille, pour la presser de joindre “ sa filleule par
affection", Tina Lombardi, qui courait après son Nino de
malheur dans la zone des armées.
    Tant
qu'elle y est, elle écrit aussi à Pierre-Marie
Rouvière, pour le presser tout autant de découvrir à
quoi correspondait, en janvier 1917, dans cette zone des armées,
l'adresse postale 1828.76.50, mais le temps de vérifier le
numéro dans la lettre de madame Conte, elle réfléchit,
et finalement déchire la sienne.
    C'est
une fin de matinée très froide.
    Les
carreaux des fenêtres, dans la grande salle de la villa, sont
embués, empêchent de voir la mer. Ses chats et ses
chattes regardent Mathilde jeter les morceaux de papier dans le feu
de la cheminée. Elle leur dit : “Tenir sa langue.
Voilà un conseil intelligent, pour une fois. Ne croyez-vous
pas que j'ai raison de me méfier précisément de
celles ou ceux qui me le donnent ? ”
    Uno
s'en fiche. Due se demande. Tertia et Bellissima vont se rendormir
près de la Vierge en pierre, souvenir d'un voyage de Papa et
Maman à Tolède, où, en l'an 99, dans une nuit
d'ivresse castillane et un retour d'affection, ils ont fait Mathilde
tout crue.
    Voleur
et Maître jacques la suivent seuls tandis qu'elle revient sur
ses roues vers la table à manger, où elle étale
souvent, et Bénédicte bisque, les feuilles à
dessin et les lettres qui ne lui servent ni à dessiner ni à
être heureuse, mais seulement à remplir un grand coffret
en acajou, à coins dorés, où elle range tout ce
qui a trait à Bingo Crépuscule. Elle ne range rien, à
vrai dire, elle se contente d'empiler les notes qu'elle prend, les
lettres qu'elle reçoit dans l'ordre où ça tombe.
    Le
coffret lui a été offert par Manech pour son quinzième
anniversaire, au Nouvel An 1915, comme boîte à peinture.
Il n'est ni beau ni laid, c'est un coffret de quarante centimètres
de haut, cinquante de large, lourd à casser les reins, mais
enfin, il est en acajou verni, avec des coins dorés comme une
cantine de bateau. Où Manech a pris l'idée d'acheter un
outil pareil, Mathilde n'en sait rien, pas plus que Papa et Maman
leur Vierge en pierre. Les gens sont bizarres.
    Mathilde
jette la lettre de Véronique Passavant dans le coffret,
referme le couvercle avec précaution, de peur de réveiller
une angoisse qui dort, et elle dit à Voleur et Maître
Jacques : “ Si vous descendez tout de suite de cette
table, je consens à vous faire, à vous seuls, une
confidence." Et comme les chats ne bougent pas, elle ajoute,
sèchement : “C'est une confidence très
confidentielle." Ils la regardent avec des yeux sans émotion,
étrangement fixes, étrangement neutres - on jurerait
des yeux de chat - puis, sans se presser, ils vont de concert, sur
leurs pattes douces, au même bord de la table et sautent à
terre.
    Le
buste penché, accrochée d'une main à son
fauteuil, l'autre flattant

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