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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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dise certaines
choses, et ce sont celles-là surtout que je vous supplie de
garder pour vous, car il s'agit du bonheur des enfants.
    Dans
ses vingt-deux ans, au retour du service militaire, Benjamin Gordes a
trouvé embauche chez un ébéniste du faubourg
Saint-Antoine, où travaillait une commise aux écritures,
un peu plus âgée que lui, Marie Vernet. Elle lui
plaisait, au fil des jours, mais sans espoir, elle vivait depuis
quatre ans avec un agent de change marié, qui ne pouvait pas
ou ne voulait pas divorcer, et qui lui avait déjà fait
trois enfants, évidemment non reconnus. C'était au
printemps 1907. Quelques mois plus tard, Marie Vernet à
nouveau enceinte, l'ébéniste, comme ses précédents
patrons, l'a renvoyée.
    En
octobre 1908, Benjamin a loué un petit atelier, rue d'Aligre,
et s'est mis à son compte. Il dormait sur un matelas au milieu
des meubles qu'il fabriquait. C'est là que Marie Vernet, en
janvier ou février 1909, est venue le trouver, cherchant du
travail. Elle était libre de son triste bonhomme, mort
assassiné au sortir de chez lui, on n'a jamais su par qui,
mais probablement quelqu'un qu'il avait ruiné. Benjamin l'a
épousée au mois d'avril, en reconnaissant les quatre
enfants. Marie Vernet, dont il m'a toujours parlé avec
affection, n'avait jamais eu de chance. Mariée un samedi, elle
était transportée d'urgence à l'hôpital le
mercredi suivant pour une appendicite aiguë et décédait
dans la nuit, exactement comme ma propre mère quand j'avais
seize ans.
    En
ce qui me concerne, avant que mon chemin croise celui de Benjamin, je
n'avais pas eu beaucoup de chance non plus. Ma mère morte, il
ne me restait pour parent qu'un oncle, son frère, avec qui
elle était en froid depuis des années. C'est à lui que j'ai été confiée. J'ai quitté le
collège à deux ans du baccalauréat pour
travailler dans la mercerie qu'il tenait avec sa femme, rue
Saint-André-des-Arts. Je logeais dans une chambrette au fond
d'une cour qui me séparait de la boutique. Sauf d'aller
acheter le pain chez le boulanger voisin, cette cour a été
pratiquement mon seul univers pendant plusieurs mois. Mais il ne faut
pas aller bien loin, quelquefois, pour rencontrer son destin. Au
printemps 1909, à peu près au moment où Benjamin
se trouvait veuf avec quatre enfants, j'ai fait la connaissance d'un
ouvrier-maçon appelé à travailler dans les
escaliers de l'immeuble. J'avais dix-sept ans, lui vingt. Il était
hardi, beau parleur, alors que j'ai toujours été d'une
timidité qui m'est une souffrance, mais doux aussi, et c'était
la première fois que j'étais bien avec quelqu'un. Je ne
lui ai pas résisté longtemps.
    Il
venait dans ma chambrette à la dérobée, il s'en
allait avant le jour. Deux fois, nous nous sommes promenés la
nuit sur les bords de la Seine. Un dimanche, il m'a montré un
Paris que je ne connaissais pas, les Champs-Élysées, le
Trocadéro, et nous sommes montés en haut de la tour
Eiffel. Un autre dimanche, je l'ai attendu sur la place Saint-Michel,
il s'était fait prêter une auto, il m'a emmenée à
la campagne, du côté de Poissy. Nous avons déjeuné
dans une auberge, à Juziers, et l'après-midi nous avons
loué une barque pour aller sur une jolie petite île
verte au milieu du fleuve. C'était déjà la fin
de notre liaison. Elle n'avait pas duré deux mois. Quand je
lui ai dit, sur cette île, que j'étais enceinte, il m'a
ramenée à Paris et je ne l'ai jamais revu.
    Mon
oncle et ma tante n'étaient envers moi ni bons ni mauvais, ils
m'avaient accueillie parce qu'ils étaient ma seule famille et
qu'il le fallait bien. Ils ont été soulagés, je
crois, à la naissance de ma petite Hélène, que
je veuille les quitter. J'avais obtenu, par l'entremise du médecin
qui m'avait accouchée, à l'hôpital Saint-Antoine,
un emploi où je serais logée et nourrie. L'emploi était
de m'occuper, en même temps que de mon bébé, des
enfants de Benjamin Gordes. Il les avait jusque-là confiés
à sa sœur Odile, à Joinville-le-Pont, de six ans
son aînée, vieille fille par vocation, qui ne pouvait
plus les supporter. Le logis était L'appartement de la rue
Montgallet que j'habite encore, dont Benjamin avait pris le bail pour
y vivre avec Marie Vernet. Il consiste en une salle à manger,
une cuisine, deux chambres et un cabinet de toilette. Je couchais
avec les enfants dans la plus grande des chambres, qui donne sur la
rue, Benjamin Gordes dans l'autre.
    Tous
ceux qui l'ont connu

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