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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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accompagné jusqu'aux
grilles de la gare du Nord. Il m'a embrassée à travers
ces grilles, il me regardait, j'avais le sentiment terrible de ne
plus le connaître. Il m'a dit : “Je sais, tu as
l'impression de ne plus me connaître. Pourtant, c'est moi,
Benjamin. Mais je ne suis plus capable de survivre, sauve-moi.
Promets que tu le feras. Promets. ”
    J'ai
bougé la tête pour dire oui, je pleurais. Je l'ai vu
partir avec ses habits de guerre d'un bleu sale, ses musettes et son
casque.
    Je
raconte mon mari, je me raconte moi, je ne raconte pas Kléber
Bouquet. Et pourtant, Kléber m'a dit, plus tard, ce que je
devais croire : qu'on prend ce qui vient, au moment où ça
vient, qu'on ne lutte ni contre la guerre, ni contre la vie, ni
contre la mort, on fait semblant, que le seul maître du monde,
c'est le temps.
    Le
temps aggravait l'obsession de Benjamin. C'est la durée de la
guerre qu'il ne pouvait plus supporter. C'est le mois où
Kléber aurait sa permission qu'il me disait dans ses lettres.
C'est les jours où je serais bonne à faire un enfant
qu'il voulait savoir.
    Je
lui écrivais : “Même si j'étais prise,
il faudrait huit ou neuf mois, la guerre sera finie avant." Il
répondait : “ C'est l'espoir qui me manque. Que je
le retrouve pendant huit ou neuf mois, ce sera déjà ça.

    Et
Kléber m'a raconté : “ Pendant que nous
étions en Artois, Benjamin a perdu son courage en voyant les
morts, leurs horribles blessures, et le carnage de
Notre-Dame-de-Lorette et de Vimy, qui regarde Lens. Pauvres Français,
pauvres Marocains, pauvres Boches. On les balançait dans des
charrettes, un corps après l'autre, comme s'ils n'avaient
jamais été rien. Et une fois, il y avait un gros
bonhomme qui recevait les corps sur la charrette, les disposait pour
qu'ils prennent le moins de place, et qui marchait dessus. Et alors,
Benjamin l'a insulté, le traitant de tout, et l'autre a sauté
sur lui et ils se sont battus par terre comme des chiens. Benjamin
avait perdu son courage pour la guerre, peut-être, mais pas
pour s'attraper avec un gros qui marchait sur des cadavres de
soldats. ”
    Je
ne sais pas, mademoiselle, si je vous fais bien comprendre ce que je
veux dire, que rien n'est jamais noir, ni blanc, parce que le temps
fausse tout. Aujourd'hui, dimanche 11 juillet, ayant écrit
cette lettre par à coups, je ne suis plus la même que
mercredi dernier, quand j'avais si peur de vous raconter ces choses.
Maintenant, je me dis que si elles peuvent vous servir, je serai
quitte du souci. Pour être franche, j'y gagne moi aussi, je
n'ai plus honte, ça m'est égal.
    Kléber
Bouquet est venu en permission en juin 1916. Le 7, c'était un
lundi, il a mis un mot dans ma boîte aux lettres, me disant
qu'il monterait chez moi le lendemain après-midi et que si je
ne voulais pas le recevoir, il le comprendrait, je n'avais qu'à
placer quelque linge de couleur à une fenêtre sur la
rue. Le lendemain matin, j'ai conduit les enfants à
Joinville-le-Pont, chez leur tante Odile, à qui j'ai dit
seulement que j'avais des démarches à faire et que cela
pourrait me prendre un jour ou deux.
    Vers
trois heures après midi, guettant à la fenêtre de
la grande chambre, j'ai vu un homme s'arrêter sur le trottoir
en face l'immeuble et regarder vers mon étage. Il était
en vêtements d'été clairs, un canotier sur la
tête. Nous nous sommes regardés plusieurs secondes,
immobiles tous les deux, et j'étais incapable de lui faire un
signe. Finalement, il a traversé la rue.
    J'ai
attendu, pour ouvrir la porte de l'appartement, d'entendre son pas
arriver à notre étage, je me suis dirigée vers
la salle à manger. Il est entré, ôtant son
canotier, en me disant simplement, guère plus à l'aise
que moi : “ Bonjour, Élodie. ”J ' ai
répondu bonjour. Il a refermé la porte, il est venu
dans la pièce. Il était comme Benjamin me l'avait décrit : un homme robuste au
visage tranquille, au regard droit, à la moustache et aux
cheveux bruns, aux grandes mains de charpentier. Il ne manquait au
portrait que le sourire, mais il ne pouvait pas sourire, et moi n'en
parlons pas. Nous avions l'air idiot, certainement, de deux comédiens
qui ont oublié leur texte. Je ne
sais pas comment, après quelques secondes où je n'osais
plus le regarder, j'ai pu articuler : “J'ai préparé du café, asseyez-vous. ”
    Dans
la cuisine, mon cœur battait lourdement. Mes mains tremblaient.
Je suis revenue avec le café. Il s'était assis

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