Un long dimanche de fiancailles
s'est pris de querelle, à cause
de moi, avec un poisson de fosse septique, le fils Josso, qui m'avait
en point de mire comme doublure de sa dondon. Vous pouvez rien
comprendre à ces micmacs, c'est donc pas la peine de vous
expliquer, mais Nino a sorti son couteau qui lui avait jamais servi
qu'à couper le bout de ses cigares et il s'est retrouvé
enfermé pour cinq ans à la prison Saint-Pierre.
J'allais le voir, bien sûr, il manquait de rien, il trouvait
seulement le temps long. En 16, quand on l'a fait choisir, il a
préféré rejoindre ceux qui mouraient pour la
patrie. C'est comme ça, d'un Verdun à un autre, qu'il a
fini dans la neige et la boue, devant cette tranchée de
l'Homme de Byng.
Le
soir avant qu'ils le tuent, il m'a fait écrire par un autre
une lettre où il me disait son amour et ses regrets. Ma
marraine vous l'a dit et je l'ai assez engueulée pour ça,
j'avais un code avec mon Nino, pour savoir toujours où il
était, parce que je pouvais le retrouver dans la zone des
cantonnements, j'avais mes entrées comme toutes les
travailleuses, il y avait que les bourgeoises qu'on laissait pas
passer, et encore, j'en ai connu qui se faisaient croire des putes
rien que pour voir leur homme.
Ce
code que nous avions, c'était pas compliqué, c'est avec
le même qu'on trichait aux cartes avant la guerre, quand Nino
jouait de l'argent, on se comprenait par la manière de
s'appeler, mon Amour, ma Biche, ma Chouquette et ainsi de suite. Dans
la lettre, ma Chouquette était répété
trois fois, ce qui voulait dire qu'il n'avait pas changé de
front, la Somme, mais qu'il se trouvait plus à l'Est, et que
le nom du bourg le plus proche commençait par un C, j'avais le
choix entre Cléry et Combles sur ma carte. Comme en plus il
avait signé ton Ange de l'Enfer, c'est qu'il était en
première ligne. Il y avait aussi d'autres noms gentils dans
cette lettre, tous pour dire que ça bardait pour lui, que les
choses allaient très mal. Si comme je le pense vous avez eu
une copie par le sergent Esperanza ou par ce Célestin Poux que
vous demandiez dans les journaux et que moi j'ai jamais pu retrouver,
vous devinerez vite vous-même comment Nino me disait ça.
Malheureusement, quand la lettre m'est parvenue par ma marraine, à
Albert où je faisais les Anglais, c'était déjà
un mois trop tard, on me l'avait tué comme un pauvre chien.
J'ai
compris à peu près la filière que vous avez dû
suivre la recherche de votre fiancé, c'est pas tout à
fait la même que moi, mais à bien des moments, j'en suis
sûre, nos routes se sont croisées. La mienne commence à
Combles, au début de février 17,où on voyait
plus que des tommies, mais en fouinant un peu, j'ai retrouvé
la trace d'une ambulance qu'on avait déplacée à
Roziéres. Là je suis tombée sur un infirmier,
Julien Phillipot, qui avait travaillé avec le
lieutenant-médecin Santini. C'est lui qui m'a raconté
les cinq condamnés à mort et qu'il en avait revu un, à
Combles, le lundi 8 janvier, blessé à la tête,
mais Santini lui avait dit de la fermer, que ça les regardait
pas, et de l'évacuer comme les autres. Après, on avait
bombardé l'ambulance, Santini était mort, Phillipot
savait pas ce que le condamné était devenu. Je lui ai
demandé de me le décrire, et ça pouvait pas être
mon Nino, mais il avait appris par la suite que le blessé
était arrivé à l'ambulance avec un compagnon à
l'agonie, plus jeune et plus mince, qu'on avait évacué
aussi, c'était peut-être un faux espoir, mais un espoir
quand même. En tout cas, Phillipot m'a donné un
renseignement sur le condamné le plus âgé, c'est
qu'il avait à ses pieds des bottes allemandes.
De
là, je suis allée à Belloy-en-Santerre pour
retrouver les territoriaux qu'il m'avait dits, qui avaient emmené
les cinq, le samedi soir. Ils n'y étaient plus. J'ai su par
une fleur de pavé qu'un nommé Prussien pourrait
m'éclaircir parce qu'il avait fait partie de l'escorte et que
ce Prussien était maintenant à Cappy, où je suis
allée. On s'est parlé avec celui-là dans un
estaminet pour soldats, au bord d'un canal, et il m'a donné
beaucoup plus de renseignements que Phillipot sur les condamnés,
il les avait mieux connus en les convoyant jusqu'à la tranchée
de l'Homme de Byng. Il l'appelait comme ça, et pas Bingo,
parce qu'un soldat de cette tranchée lui avait expliqué
ce soir-là d'où venait le nom, il était question
d'un tableau peint par un Canadien, c'est tout ce que je me
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