Un Monde Sans Fin
déjà recopier le Notre Père en
latin. »
Elle l’envia, n’étant pas même capable d’écrire son nom.
« C’est merveilleux ! » s’exclama-t-elle. Son frère était en
bonne voie de devenir moine, de réaliser le rêve de sa vie. Peut-être que son
statut de novice effacerait le sentiment d’inutilité qui l’avait toujours
accablé et expliquait certainement son caractère rusé et trompeur.
« Et toi ? dit-il. Qu’est-ce qui t’amène à
Kingsbridge ?
— Tu sais que Ralph Fitzgerald est le nouveau seigneur
de Wigleigh ?
— Oui. Il est en ville. Il est descendu à l’auberge de
La Cloche et y mène grand train.
— Il a interdit à Wulfric d’hériter des terres de son
père. » Elle raconta à Philémon l’histoire dans tous ses détails.
« Je voudrais savoir s’il est possible de contester sa décision. »
Philémon secoua la tête. « La réponse tient en un seul
mot : non. Évidemment, Wulfric pourrait faire appel au comte de Shiring,
mais il n’interviendra pas, à moins d’avoir un intérêt personnel dans
l’affaire. Et même s’il trouve cette décision injuste, ce qui est à l’évidence
le cas, il ne sapera pas l’autorité d’un seigneur qu’il vient de nommer. Mais
quel intérêt as-tu dans tout cela ? Je croyais que Wulfric devait épouser
Annet ?
— Elle ya renoncé pour épouser Billy Howard dès qu’elle
a su qu’il n’hériterait pas.
— Autrement dit, tu as tes chances, maintenant.
— Je crois, oui, dit-elle en se sentant rougir.
— Tu le sais de source sûre ? s’enquit-il
astucieusement.
— J’ai profité de son désespoir pour coucher avec lui,
admit Gwenda.
— Ne t’en fais pas. Les scrupules sont bons pour les
privilégiés. Pour nous qui sommes nés pauvres, notre seul salut est dans la
ruse. »
Elle n’aimait pas entendre son frère parler ainsi et
affirmer que leur enfance difficile excusait tout, ce qu’il faisait parfois.
Mais elle était trop déçue pour s’en préoccuper. « Il n’y a vraiment rien
que je puisse faire ?
— Oh, je n’ai pas dit ça ! J’ai dit qu’on ne
pouvait pas contester la décision prise par Ralph. Ça ne signifie pas qu’on ne
puisse pas le faire changer d’avis.
— En tout cas, si quelqu’un le peut, ce ne sera pas
moi, c’est sûr.
— Je ne sais pas. Tu devrais aller trouver Caris. Vous
êtes amies depuis toujours. Elle t’aidera sûrement si elle le peut. Et elle est
très proche de Merthin, le frère de Ralph. Peut-être que lui aura une
idée. »
Tout espoir était bon à prendre, aussi incertain soit-il.
Gwenda se leva. « J’y vais de ce pas. » Au moment de se pencher pour
embrasser son frère, elle se rappela que ces contacts lui étaient désormais
interdits. Elle lui serra donc la main, ce qui lui laissa une impression
bizarre.
« Je prierai pour toi », dit-il.
La maison de Caris était juste en face du portail du
prieuré.
La grande salle était déserte, mais des voix sortaient de la
pièce où Edmond traitait généralement ses affaires. Tutty, la cuisinière, lui
apprit que Caris s’y trouvait avec son père. Gwenda s’assit pour attendre,
tapant du pied impatiemment. Peu après, la porte s’ouvrit et Edmond sortit,
accompagné d’un homme de haute taille que Gwenda n’avait jamais vu, un
ecclésiastique à en juger par sa soutane de prêtre, bien qu’il ne porte ni
croix ni autre symbole sacré. Il avait des narines évasées qui donnaient à son
visage une expression dédaigneuse.
« Je vous raccompagne au prieuré », dit Edmond à
son visiteur tout en hochant aimablement la tête en direction de Gwenda.
Sortie à son tour dans le hall, Caris embrassa son amie.
« Qui est-ce ? demanda Gwenda dès que les deux hommes eurent passé la
porte.
— Grégory Longfellow, un avocat engagé par le prieur
Godwyn.
— Engagé pour quoi ?
— Le comte Roland empêche le prieuré d’exploiter sa
carrière de pierre. Il réclame un impôt d’un penny sur chaque chariot. Godwyn
veut en appeler au roi.
— En quoi cette affaire vous concerne t’elle ?
— Grégory pense que la guilde doit arguer du fait que
la ville ne sera plus en mesure de payer ses impôts si elle n’a pas de pont.
C’est la meilleure manière de persuader le roi, selon lui. Mon père doit aller
avec Godwyn témoigner devant la cour de justice royale.
— Tu iras, toi aussi ?
— Oui. Mais toi, comment se fait-il que tu sois
ici ?
— J’ai
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