Un Monde Sans Fin
Caris
s’écriait :
— Ce poisson froid !
— Tu n’es pas juste. Mais quand elle m’a demandé de
l’épouser, j’ai freiné des deux pieds.
— Ah, je comprends maintenant pourquoi elle est de si
mauvaise humeur, ces derniers temps ! s’exclama Caris.
— Et c’est pour ça aussi, probablement, que sa mère n’a
pas voulu regarder Merthin tout à l’heure, ajouta Edmond.
— Et pourquoi ne veux-tu pas l’épouser ? s’enquit
Caris.
— Il n’y a qu’une seule femme à Kingsbridge que
j’aimerais épouser. Et elle refuse de se marier.
— Mais elle n’a pas envie de te perdre non plus.
— Que dois-je faire, alors ? » lança Merthin,
fâché. Il avait parlé d’une voix forte et les conversations tout autour
s’interrompirent. « Godwyn m’a remercié, tu ne veux pas de moi et mon
frère est hors la loi. Au nom de quoi devrais-je rester dans cette ville, Dieu
du ciel !
— Je ne veux pas que tu partes !
— Eh bien, ce n’est pas suffisant ! » Il
criait maintenant.
Le silence s’était abattu sur la salle. Tout le monde les
connaissait à l’auberge : le patron Paul la Cloche et sa fille Bessie aux
rondeurs aguichantes ; Sairy, la servante aux cheveux gris, mère
d’Élisabeth ; Bill Watkin, le constructeur qui avait refusé d’engager
Merthin ; ce coureur de jupons d’Édouard le Boucher ; Jake Chepstow,
qui louait à Merthin un entrepôt sur l’île aux lépreux ; Murdo, le frère
lai ; Matthieu le Barbier et Marc le Tisserand. Ils étaient tous au
courant des sentiments que Caris et Merthin avaient l’un pour l’autre et cette
querelle les passionnait.
Merthin ne s’en souciait pas. Qu’ils écoutent, si cela les
amusait ! Il jeta d’une voix furieuse : « Je ne vais pas passer
ma vie à te suivre comme un toutou en attendant que tu veuilles bien me donner
une caresse. Je ne suis pas Scrap ! Je serai ton mari, mais jamais ton
petit chien !
— Très bien, puisque c’est comme ça..., dit-elle d’une
petite voix.
— Puisque c’est comme ça quoi ? lança-t-il,
surpris par son brusque changement de ton, et ne sachant pas très bien comment
l’interpréter.
— Puisque c’est comme ça, je t’épouse. »
L’espace d’un instant, il fut tellement abasourdi par cette
réponse qu’il en resta sans voix. Puis il ajouta sur un ton suspicieux :
« Tu es sérieuse ? »
Elle releva les yeux et le regarda enfin, souriant
timidement.
« Oui, très sérieuse. Tu n’as qu’à me le demander.
— Bien. » Prenant une profonde inspiration, il
dit : « Tu veux bien m’épouser ?
— Oui, je veux bien. »
Le « Hourrah ! » lancé par Edmond fut repris
par tous les clients de la taverne, accompagné d’applaudissements. Merthin et
Caris se mirent à rire. « C’est bien vrai ? demanda-t-il.
— Oui ! »
Ils s’embrassèrent. Il l’entoura de son bras et la serra
très fort contre lui. Quand il desserra son étreinte, il vit qu’elle pleurait.
« Du vin pour ma fiancée ! s’écria-t-il. Une barrique
tout entière, en fait. Que tout le monde ait sa tasse et trinque à notre
santé !
— Tout de suite, tout de suite ! » s’exclama
le patron et les vivats fusèrent à nouveau.
*
Une semaine plus tard, Élisabeth Leclerc entrait au couvent.
40.
Désormais, Ralph et Alan devaient vivre à la dure. N’ayant
plus de toit, ils établissaient tous les soirs leur campement dans un lieu
différent et allumaient un feu auprès duquel ils dormaient à même le sol. Mais
en pleine nature, leurs manteaux épais ne suffisaient guère à leur tenir chaud.
Ils vivaient de rapines, dépouillant tous les gens vulnérables qui croisaient
leur chemin, et n’en tirant qu’un maigre butin : vieilles loques, fourrage
à bestiaux ou pièces d’argent qui ne leur servaient à rien au fond des bois. À force
de se nourrir exclusivement de venaison et d’eau fraîche, Ralph en venait à
rêver d’aliments qu’il dédaignait autrefois : oignons, pommes, œufs, lait.
Un jour, ils volèrent un grand baril de vin. Ils le
roulèrent jusque dans les taillis, à trois cents pas de la route, et s’en
abreuvèrent jusqu’à plus soif avant de s’écrouler ivres morts. Au réveil,
dolents et de mauvaise humeur, ils durent se rendre à l’évidence qu’ils ne
pouvaient l’emporter avec eux. Ils l’abandonnèrent donc sur place.
Ralph se remémorait son ancienne vie avec nostalgie, son
manoir où un bon feu
Weitere Kostenlose Bücher