Un Monde Sans Fin
étaient
suspendus des poulets vivants attachés les uns aux autres, la fille un cruchon
qui contenait probablement du beurre salé et le garçon un gros jambon qui
pesait lourd sur son épaule.
À la vue de ce jambon, Ralph sentit ses entrailles se
crisper douloureusement. L’eau lui monta à la bouche. D’un signe de tête, il
indiqua à Alan de se tenir prêt. Au moment où la famille arrivait à leur
hauteur, ils s’élancèrent hors des fourrés d’un même mouvement. La paysanne se
mit à hurler ; le garçon poussa un cri d’effroi ; quant au mari, il
n’eut pas le temps de se libérer de son panier que Ralph l’avait déjà
pourfendu, faisant remonter son épée de l’abdomen jusqu’à la gorge. Le cri de
l’homme s’interrompit brutalement au moment où la lame pénétra dans son cœur.
De son côté, Alan abattit sa massue sur la tête de la femme
avec tant de violence qu’elle en eut la nuque brisée. Un torrent de sang rouge
jaillit subitement de sa bouche.
Ragaillardi par ce succès, Ralph s’intéressa au fils. Le
gamin avait été prompt à réagir. Lâchant son jambon, il avait dégainé un
couteau. Profitant que Ralph levait le bras pour prendre son élan, il se jeta
sur lui dans l’intention de lui planter son poignard dans le ventre. Mais ce
coup porté par un jeune garçon dépourvu d’entraînement était trop fougueux pour
atteindre sa cible. Il manqua la poitrine de Ralph et ne fit qu’entailler le
haut de son bras droit. La douleur, fulgurante, l’obligea quand même à lâcher
son épée. Le garçon en profita pour s’enfuir à toutes jambes dans la direction de
Kingsbridge.
Ralph jeta un coup d’œil à Alan.
Son écuyer achevait la mère avant de s’occuper de la fille.
Ce retard faillit lui coûter la vie, car la petite lui jeta à toute volée le
cruchon qu’elle tenait à la main. Qu’elle ait bien visé ou qu’elle ait eu de la
chance, toujours est-il que le projectile atteignit Alan à l’arrière de la
tête. Il s’écroula au sol aussi subitement que s’il avait été transpercé par
une lance.
La petite fille s’élança à la suite de son frère. Le temps
de ramasser son épée de la main gauche, Ralph la prit en chasse. Les deux
gamins étaient jeunes et rapides, mais lui-même possédait de longues jambes.
Regardant par-dessus son épaule, le garçon vit que Ralph
gagnait du terrain. Il pila sur place. Au lieu de repartir, il se précipita sur
son agresseur en hurlant, le poignard brandi. Ralph s’immobilisa et leva son
épée. Le garçon stoppa net, hors de portée. Ralph fit un pas en avant et
plongea.
Le garçon sut éviter le coup. Voulant mettre à profit le
déséquilibre de l’adversaire, il pénétra à l’intérieur de sa garde dans
l’intention de le frapper de plus près. Ralph, qui n’attendait que cela, recula
vivement d’un pas. Dressé sur la pointe des pieds, il enfonça son épée dans la
gorge du garçon, appuyant de toutes ses forces jusqu’à ce que la pointe
ressorte de l’autre côté. Le garçon s’effondra. Ravi de la précision et de
l’efficacité de son coup, Ralph retira son épée.
Lorsqu’il releva les yeux vers la petite fille, elle était
déjà loin. Impossible de la rattraper à pied. Quant à enfourcher son cheval,
inutile d’y compter : la gamine aurait déjà atteint les faubourgs de
Kingsbridge avant qu’il ait seulement retrouvé Griff caché dans les sous-bois.
Il se retourna. Alan se remettait debout tant bien que mal.
« J’ai bien cru qu’elle t’avait occis ! » lui lança-t-il. Sa
main gauche plaquée sur l’entaille qu’il avait au bras droit pour arrêter le
saignement, il essuya son épée sur la tunique du garçon et la remit au
fourreau.
« Par Satan, j’ai un de ces maux de crâne !
s’écria l’écuyer. Vous les avez tous tués, mon seigneur ?
— La fille s’est enfuie.
— Croyez-vous qu’elle nous ait reconnus ?
— Moi, oui, probablement. J’ai déjà vu ces gens-là.
— Si c’est le cas, nous ne sommes plus seulement des
violeurs, mais aussi des assassins. »
Ralph haussa les épaules. « Mieux vaut le gibet que la
faim... Cela dit, traînons-les quand même dans les buissons avant qu’un passant
ne les aperçoive. » Il joignit le geste à la parole, attrapant l’homme de
la main gauche. Alan vint l’aider. À eux deux, ils le balancèrent dans les
taillis. Puis ils firent de même avec la femme et le garçon, et Ralph s’assura
que
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