Un Monde Sans Fin
de larmes rivés sur son
large dos. Entrés à l’intérieur du bâtiment, ils eurent le bonheur d’apercevoir
la vieille Julie. « Allez chercher mère Cécilia le plus vite possible, je
vous en supplie ! » la pria Caris. La vieille religieuse partit à
toutes jambes, tandis que Marc étendait Edmond sur une couche près de l’autel.
Le prévôt n’avait pas repris connaissance. Il avait toujours
les yeux fermés et sa respiration était haletante. Caris posa la main sur son
front. Il n’était pas chaud, mais pas glacé non plus. L’attaque avait été si
soudaine ! Qu’est-ce qui avait pu la provoquer ? La minute d’avant, son
père parlait normalement et, tout d’un coup, il avait perdu connaissance !
Comment pareille chose pouvait-elle se produire ?
Mère Cécilia arriva. Ses gestes rapides et efficaces surent
apaiser Caris dans l’instant. S’étant agenouillée près de la couche d’Edmond,
elle posa la main sur son cœur et prit son pouls. Puis elle se concentra sur sa
respiration et toucha son visage. « Apportez-lui un oreiller et une
couverture, ordonna-t-elle à Julie, et allez chercher un moine médecin. »
Elle se releva et dit à Caris, la regardant droit dans les
yeux : « C’est une attaque. Peut-être s’en sortira-t-il. Il n’y a pas
grand chose à faire, sinon veiller à son confort. Le médecin recommandera
peut-être une saignée. En dehors de cela, je ne vois que la prière. »
Mais Caris voulait une intervention efficace. « Je vais
chercher Mattie », dit-elle.
Elle s’élança hors du bâtiment, évitant la foire, comme
l’année précédente lorsqu’elle avait couru chercher la guérisseuse pour sauver
Gwenda. Cette fois-ci, il s’agissait de son père et son angoisse était bien
différente. Ce n’était plus la tristesse à l’idée de perdre une amie, mais le
désespoir face à son monde qui s’écroulait. La terreur de voir son père mourir
engendrait en elle une émotion qu’elle éprouvait parfois en rêve, quand elle se
voyait, juchée sur le toit de la cathédrale de Kingsbridge, sans autre solution
pour en descendre que de se jeter dans le vide.
L’effort physique que réclamait sa course éperdue la calma
un peu. Le temps d’arriver chez Mattie, elle s’était reprise. La guérisseuse
saurait quoi faire. Elle dirait : « J’ai déjà rencontré un cas
similaire. Voici le traitement à suivre, j’en connais les risques. »
Caris tambourina à la porte. N’entendant pas de réponse,
elle souleva le loquet. La porte n’était pas verrouillée. « Mattie !
cria-t-elle tout en se précipitant à l’intérieur. Viens à l’hospice
immédiatement ! Mon père se meurt ! »
La pièce était vide. Caris écarta sans hésiter le rideau qui
en cachait le fond. Mattie n’était pas non plus dans la cuisine.
« Mais pourquoi faut-il que tu sois absente juste en ce
moment ! » s’écria-t-elle à pleine voix.
Regardant autour d’elle pour deviner où son amie pouvait
être allée, elle fut brusquement frappée par la nudité des lieux. Il ne restait
pas une seule de toutes les petites fioles et bouteilles qui s’entassaient
d’habitude sur les étagères, pas un seul mortier parmi tous ceux dont Mattie se
servait pour préparer ses ingrédients, pas un seul de ces petits pots où elle
les mélangeait et les faisait bouillir, pas un seul des couteaux avec lesquels
elle coupait les herbes ! Revenant dans la pièce de devant, Caris constata
que tous les objets personnels de Mattie avaient également disparu : la
boîte à couture, les coupes en bois verni dans lesquelles elle buvait du vin,
le châle brodé accroché au mur en guise de décoration, le peigne en os sculpté
qu’elle aimait tant.
Mattie avait pris la poudre d’escampette en emportant toutes
ses affaires !
La raison de ce départ ne faisait aucun doute : on
avait dû lui rapporter que Philémon s’était intéressé à elle, hier, après
l’office. Traditionnellement, la cour ecclésiastique se réunissait le samedi de
la foire à la laine. C’était ce jour-là que, deux ans plus tôt, Nell la folle
avait été jugée sur des accusations absurdes et condamnée pour hérésie.
Mattie n’était pas une hérétique, bien sûr, mais comment le
prouver ? Nombreuses étaient les vieilles femmes qui l’avaient appris à
leurs dépens ! Elle devait avoir considéré ses maigres chances de survivre
à pareil procès et, sans prévenir personne, elle avait
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