Un Monde Sans Fin
auparavant. À savoir qu’à la mort de son
père, tout l’argent gagné grâce à son entreprise de tissu écarlate irait pour
moitié à sa sœur. Cette découverte l’abasourdit. Non pas que l’argent compte à
ses yeux. Mais l’idée de contribuer par un moyen quelconque à faire qu’Elfric
devienne le prévôt des marchands la révulsait. « La richesse n’est pas
tout ! lança-t-elle avec force. Ce qui importe, c’est que l’homme à la
tête des marchands soit capable de se battre pour le bien de tous.
— Si c’est ce que tu veux, tu dois alors proposer
quelqu’un d’autre, expliqua Dick.
— Voulez-vous l’être ? » demanda-t-elle
carrément.
Il secoua la tête. « Inutile de perdre ton temps à me
persuader. À la fin de cette semaine, je transmets toutes mes affaires à mon
fils aîné. J’en ai fini de brasser la bière ! Désormais, je veux la
boire ! » Et pour donner plus de poids à ses dires, il but une longue
goulée et rota avec satisfaction.
Comprenant qu’elle ne le ferait pas revenir sur sa décision,
Caris le pria de lui suggérer un nom.
« Je ne vois qu’une personne : toi !
— Moi ! s’exclama Caris, sidérée. Mais
pourquoi ?
— Tout d’abord, parce que tu es à l’origine de toute
cette campagne pour l’obtention d’une charte. Ensuite, parce que ton fiancé a
sauvé la foire à la laine avec son pont, et que ton affaire de tissu a
contribué grandement à restaurer la prospérité générale après la faillite des
cours de la laine. Enfin, parce que tu es l’enfant du prévôt existant. Et s’il
ne s’agit pas là d’une fonction héréditaire, les gens ont malgré tout tendance
à considérer que les chefs engendrent des chefs. Au fond, ils n’ont pas tort.
Cela fait un moment que tu remplis les fonctions de prévôt. Presque un an déjà,
depuis que ton père a commencé à décliner.
— Y a-t-il déjà eu une femme prévôt à
Kingsbridge ?
— Pas que je me souvienne. Et pas non plus quelqu’un
d’aussi jeune que toi. Ces deux désavantages pèseront lourd dans la balance et
je ne suis pas certain que tu l’emporteras contre Elfric. Je dis simplement que
personne n’a de meilleures chances que toi. »
Cette tirade laissa Caris quelque peu étourdie. Serait-elle
vraiment capable de tenir ce rôle ? Qu’en serait-il alors de son serment
de devenir guérisseuse ? N’y avait-il pas en ville des marchands mieux
placés pour remplir cette tâche ? « Et Marc le Tisserand ?
demanda-t-elle.
— Il ferait un bon prévôt, surtout avec la femme qu’il
a, car elle est maligne, sa Madge. Mais les gens de la ville continuent de voir
en lui un pauvre tisserand.
— Pourtant il est riche maintenant.
— Grâce à ton tissu écarlate. Les gens regardent toujours
les fortunes récentes d’un œil suspicieux. Ils diront qu’il pète plus haut que
son cul. Ils préféreront élire un prévôt venant d’une famille établie,
quelqu’un dont le père était déjà riche et le grand-père aussi, de
préférence. »
L’idée de damer le pion à Elfric n’était pas pour déplaire à
Caris. Toutefois, elle doutait de ses capacités. Avait-elle la patience et la
ruse de son père, sa convivialité chaleureuse, son énergie inépuisable ?
Elle regarda Merthin.
Il dit : « Tu serais le meilleur prévôt que la
ville ait connu à ce jour. »
Sa confiance inébranlable la décida. « Eh bien, je vais
me présenter. »
*
Le vendredi de la semaine de la foire, Godwyn invita Elfric
à dîner. Il ordonna qu’un repas coûteux leur soit présenté : du cygne au
gingembre et au miel. Philémon les servit et prit place avec eux à la table.
Les habitants de la ville avaient décidé d’élire un nouveau
prévôt et, dans un laps de temps remarquablement court, deux personnes
émergeaient du lot des candidats : Elfric et Caris.
À défaut de l’apprécier, Godwyn voyait en Elfric un homme
utile. De caractère servile, ce constructeur au médiocre talent avait su entrer
dans les bonnes grâces du prieur Anthony et obtenir par ses flagorneries les
contrats touchant à la réfection de la cathédrale. Godwyn l’avait maintenu dans
ses fonctions quand il avait succédé à son oncle à la tête du monastère. S’il
n’était guère aimé des gens de sa profession, il offrait du travail à la
plupart des artisans et des fournisseurs de la ville ou sous-traitait avec eux,
et ceux-ci le courtisaient. Ils avaient sa
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