Un Monde Sans Fin
conversation qui avait
cristallisé en elle cette peur du mariage et qui lui avait fait rejeter
Merthin. Balayant ces pensées, elle déclara à Merthin, en devinant les
siennes : « Ça tient bon, on dirait ! »
Lejeune homme n’avait pas l’air convaincu. « Deux ans,
c’est un laps de temps bien court dans la vie d’une cathédrale.
— Pourtant, on ne voit aucun signe de détérioration.
— C’est bien ça, le problème. Car il peut y avoir
quelque part une faiblesse qui restera invisible pendant des années. Jusqu’au
jour où tout s’écroulera d’un coup.
— Peut-être qu’il n’y en a pas.
— Si, il y en a forcément une quelque part, dit-il, une
note d’impatience dans la voix. La cathédrale ne s’est pas effondrée sans
raison. Cette raison, nous ne l’avons jamais découverte, par conséquent elle
est toujours là !
— Peut-être qu’elle s’est réparée toute seule,
spontanément. »
Elle le contredisait pour le simple plaisir de le voir
réagir, mais il prenait ses paroles au sérieux. « Les bâtiments n’ont pas
pour habitude de se réparer tout seuls ! lâcha-t-il. Enfin, admettons...
Des gargouilles ont pu s’engorger et, par la suite, l’eau a pu suivre une voie
de dérivation moins dangereuse pour l’édifice. »
Les moines commençaient à entrer. Les conversations se
turent. Les religieuses apparurent à leur tour, par l’entrée qui leur était
désormais réservée. Une novice releva la tête, et l’on put entrevoir son beau
visage dans la file des têtes à demi cachées par des coiffes. À la vue de
Merthin et de Caris côte à côte, une joie mauvaise brilla dans son regard.
Caris, qui l’avait surprise, ne put retenir un frisson. Mais Élisabeth s’était
déjà fondue dans l’anonymat de l’habit religieux.
« Elle te hait ! s’exclama Merthin.
— Elle croit que je t’ai empêché de l’épouser.
— Elle a raison.
— Mais pas du tout ! Tu aurais pu épouser n’importe
quelle autre fille.
— Sauf que je ne voulais que toi.
— Il n’empêche que tu t’es amusé avec elle.
— En tout cas, c’est ainsi qu’elle a dû le prendre,
dit-il sur un ton confus. En fait, j’aimais simplement parler avec elle.
Surtout à l’époque où tu me battais froid »
Caris se sentait mal à l’aise. « Je sais, mais
Élisabeth se sent trahie. Je n’aime pas ses yeux quand elle me regarde. Elle me
fait peur.
— Ne t’inquiète pas. Maintenant qu’elle a pris le
voile, elle ne peut rien te faire de mal. »
Ils gardèrent le silence un moment, debout côte à côte,
leurs épaules se frôlant, suivant des yeux l’évêque Richard qui prenait place
sur son trône dans la partie est du chœur. Le rituel était une chose que
Merthin appréciait. Il se sentait toujours apaisé après avoir assisté à un
office religieux. La paix intérieure, voilà ce que les fidèles devaient trouver
à l’église, affirmait-il. Pour sa part, Caris n’assistait à la messe que pour
étouffer les ragots qu’aurait suscités son absence. Elle avait des doutes sur
tout ce qui touchait à la religion. Elle croyait en Dieu, certes, mais elle
avait du mal à admettre qu’il puisse choisir de révéler ses volontés à des
hommes tels que son cousin Godwyn, et seulement à eux. Pourquoi Dieu se
soucierait-il d’être vénéré ? C’étaient les rois et les comtes qui
exigeaient que leurs vassaux les vénèrent, réclamant d’eux un hommage d’autant
plus appuyé qu’ils occupaient un rang mineur. Que le peuple de Kingsbridge
chante ou non ses louanges ne devrait pas plus intéresser un Dieu tout-puissant
que ne l’intéressait elle-même la frayeur d’un cerf dans la forêt. Parfois,
Caris se risquait à exprimer tout haut des idées semblables, mais personne ne
la prenait au sérieux.
Ses pensées dévièrent vers l’avenir. Bien des signes
laissaient présager que le roi accorderait une charte à la ville. Son père en
deviendrait probablement le premier maire, à condition qu’il recouvre la santé.
L’entreprise de tissu qu’elle avait créée continuerait à se développer et Marc
le Tisserand connaîtrait enfin l’aisance. La prospérité revenue, la guilde de
la paroisse serait en mesure de faire construire une bourse à la laine où les
marchands pourraient traiter leurs affaires confortablement, sans s’inquiéter
du mauvais temps. À coup sûr, Merthin s’en verrait confier la construction, et
tout cela
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