Un Monde Sans Fin
de guerroyer quelque part, il passait la
plus grande partie de son temps à mettre en place des tournois compliqués ou de
fausses batailles entre armées de chevaliers portant des uniformes spécialement
taillés pour ce divertissement fort onéreux. À la guerre, Ralph n’hésitait pas
à risquer sa vie. Il n’était pas comme ces marchands de Kingsbridge qui
s’arrêtaient à tout moment pour évaluer les dangers et les avantages,
non ! Il était toujours prêt à lancer une attaque ou piller. Les comtes et
les chevaliers de plus haut rang se plaignaient de sa brutalité et s’étaient
élevés contre sa pratique, à Caen, de violer les femmes systématiquement. Mais
le roi n’en avait cure. Apprenant que des habitants de la ville avaient jeté
des pierres aux soldats qui mettaient à sac leurs maisons, il avait ordonné de
tuer la population tout entière et n’était revenu sur sa décision qu’après les
vigoureuses protestations de plusieurs seigneurs, dont Godefroy de Harcourt. .
Arrivés près de la Seine, la situation s’était inversée. À
Rouen, le pont avait été détruit. Quant à la ville sise sur l’autre rive, elle
était protégée par des fortifications et le roi de France Philippe VI s’y
trouvait en personne, lui aussi à la tête d’une puissante armée.
Les Anglais remontèrent la rivière à la recherche d’un gué.
Mais Philippe VI était passé par là avant eux, et les ponts qui n’étaient pas
en ruine étaient défendus par des détachements impressionnants. Ils parvinrent
néanmoins jusqu’à Poissy, à moins de dix lieues de Paris, et Ralph se dit
qu’ils allaient attaquer la capitale. Des guerriers expérimentés lui
rétorquèrent en secouant sagement la tête que c’était impossible. Paris était une
ville de cinquante mille âmes. La population, informée du saccage de Caen, se
battrait jusqu’à la mort, sachant qu’elle n’avait aucune pitié à attendre de
l’ennemi.
Si le roi n’avait pas l’intention d’attaquer Paris, quel
était donc son plan ? se demandait Ralph. Personne n’en avait la moindre
idée et il pensait encore que son roi n’avait qu’un seul projet : tout
réduire en cendres.
La ville de Poissy avait été évacuée. Les ingénieurs anglais
réussirent à reconstruire le pont pendant que l’armée soutenait une attaque des
Français, et les envahisseurs purent enfin traverser la rivière.
Il devint alors évident que le roi de France avait réuni des
troupes bien plus nombreuses que celles du roi d’Angleterre. Édouard III décida
de foncer vers le nord pour rejoindre les forces anglo-flamandes qui
envahissaient le pays à partir du nord-est.
Le roi Philippe lui donna la chasse.
Les Anglais avaient établi leur camp au sud d’une autre
grande rivière, la Somme. D’après les patrouilles de reconnaissance, les
Français avaient repris la stratégie utilisée en Normandie : tous les
ponts, semblait-il, avaient été détruits et toutes les villes en bordure de la
rivière étaient pourvues de fortifications solides. Un détachement anglais
apporta une nouvelle sinistre : ils avaient vu flotter sur l’autre rive
l’étendard du plus fameux et du plus effrayant de tous les alliés du roi de
France, celui de Jean l’Aveugle, roi de Bohême.
Édouard avait quitté l’Angleterre à la tête d’une armée de
quinze mille hommes. En six semaines de campagne, bon nombre d’entre eux
avaient trouvé la mort ou étaient repartis chez eux, leurs sacs de selle
bourrés d’or. L’armée ne devait plus compter qu’une dizaine de milliers
d’hommes, estimait Ralph, et les rapports des espions laissaient entendre qu’à
Amiens, à quelques lieues en amont, Philippe VI avait maintenant soixante mille
fantassins et douze mille chevaliers montés, ce qui représentait un avantage en
nombre désespérant. Ralph connut alors une inquiétude qu’il n’avait encore
jamais ressentie depuis qu’il avait posé le pied en Normandie. Les Anglais
étaient dans un grand embarras.
Le lendemain, ils suivirent la Somme en aval en direction
d’Abbeville, dernier pont avant l’estuaire. Mais la ville était imprenable,
comme ils purent s’en convaincre. Au fil des ans, les bourgeois avaient entouré
leur cité de remparts colossaux sans lésiner sur les dépenses ; ils
étaient à ce point convaincus de leur supériorité qu’ils envoyèrent une grosse
troupe de chevaliers attaquer l’avant-garde de l’armée anglaise.
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