Un Monde Sans Fin
la ville entière
connaissant les amours de Merthin et de Caris, qui duraient depuis si
longtemps.
Merthin sourit. « Rigolez autant que vous le voulez, ça
ne me dérange pas. Gardez seulement à l’esprit que Caris a grandi dans le
commerce de la laine. Elle connaît les problèmes et les difficultés auxquels
sont confrontés les marchands, alors que sa rivale, en tant que fille d’évêque,
sera plus encline à adhérer aux idées de Godwyn. »
Elfric était cramoisi. Probablement en raison de la quantité
de bière qu’il avait ingurgitée, mais il y avait autre chose : en fait, la
rage l’étouffait.
« Pourquoi me détestes-tu autant ? » lança le
prévôt de but en blanc.
Merthin le regarda d’un air surpris. « Moi, vous
détester ? J’ai toujours cru que c’était l’inverse.
— Tu as séduit ma fille, puis tu as refusé de
l’épouser. Tu as tout fait pour m’empêcher de construire le pont. Quand tu es
parti, j’ai cru qu’on serait enfin débarrassé de toi, mais tu es revenu pour
m’humilier encore à propos des fissures. Tu as essayé de m’éliminer à la tête
de la guilde et de me remplacer par ton ami Marc et tu as même suggéré que les
fissures de la cathédrale seraient de ma faute, alors que je n’étais même pas
né à l’époque de sa construction. Je te le redemande : quelle raison te
pousse à me haïr ainsi ? »
Merthin en resta coi. Elfric ne se rendait-il pas compte de
ce qu’il lui avait fait subir ? Mais à quoi bon en débattre devant la
guilde ? Ils auraient l’air de deux gamins. « Je ne vous hais pas,
Elfric. Pourtant, j’aurais toutes les raisons de le faire : vous avez été
cruel envers moi lorsque j’étais votre apprenti, vous êtes négligent dans votre
métier et vous usez de flagornerie vis-à-vis de Godwyn !
— C’est à cela que vous vous occupez pendant les
réunions de la guilde ? À vous chipoter bêtement ? » intervint
l’un des nouveaux membres, un certain Joseph le Forgeron.
Merthin se sentit d’autant plus attaqué que ce n’était pas
lui qui avait fait dévier la conversation sur le terrain personnel.
Malheureusement, s’il le faisait remarquer, d’aucuns penseraient qu’il
cherchait seulement à poursuivre cette discussion stupide. Il garda donc un
silence prudent, constatant dans son for intérieur combien Elfric était rusé.
« Joe a raison, dit Bill Watkin. Nous ne sommes pas
venus pour entendre Elfric et Merthin se disputer. »
Ce dernier n’apprécia pas de se voir placé sur le même rang
qu’Elfric, et par Bill Watkin de surcroît. Depuis la dispute sur les fissures
du pont, il s’était acquis une certaine popularité.
Désormais les membres de la guilde se méfiaient un peu
d’Elfric. Il ne faisait aucun doute que Marc aurait été élu prévôt s’il n’était
pas mort de la peste. Cette épidémie changeait toute la donne.
« Pouvons-nous revenir au sujet qui nous
intéresse ? proposa Merthin. À savoir la pétition pour que l’évêque
soutienne la candidature de Caris au poste de prieure.
— Je suis contre, déclara Elfric. Le prieur Godwyn
appuie la candidature d’Élisabeth. »
Une voix nouvelle s’éleva, celle de Marcella
Chandelle : « Je soutiens Elfric. Nous ne voulons pas de dispute avec
le père Godwyn. » Merthin ne fut pas surpris de sa réaction. Fabricant de
cierges, Marcel avait pour plus gros client le prieuré.
En revanche, il resta pantois de voir l’orateur suivant s’y
rallier, car c’était Jimmie, son ancien apprenti. « Je ne pense pas que
nous devions soutenir quelqu’un accusé d’hérésie ! » Le jeune
bâtisseur ponctua sa déclaration de deux crachats par terre, l’un à droite,
l’autre à gauche, avant de se signer. Merthin le savait superstitieux, certes,
mais pas au point de le trahir, lui, son mentor.
Il ne se trouva que Bessie pour défendre Caris. « C’est
une accusation grotesque, affirma-t-elle énergiquement.
— Rien ne l’a démentie », insista Jimmie.
Merthin le regarda fixement. « Qu’est-ce qui te prend,
Jimmie ? »
Son ancien apprenti fuyait son regard. « Je ne veux pas
mourir de la peste. Vous avez entendu le sermon comme moi : il faut se tenir
à l’écart de toute personne usant de remèdes païens. Ce n’est pas fuir sœur
Caris que de demander à l’évêque de la nommer prieure ! »
Les murmures de la salle apprirent à Merthin que
l’assistance lui apportait son soutien. Le
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