Un Monde Sans Fin
se
maîtriser ? D’où avait surgi sa colère ? Il se calma très vite en
comprenant qu’elle venait de sa peur que Caris ne soit emportée par la peste.
Assis sur un banc dans la salle de l’auberge, il retira ses
bottes et resta à fixer le feu. Pourquoi le sort lui refusait-il la seule chose
qu’il désirait dans la vie ?
Bessie entra et suspendit son manteau à une patère. Sairy
partie, elle ferma la porte à clef et prit place en face de Merthin dans la
grande chaise de son père. « Les choses n’ont pas tourné comme tu
l’espérais à la guilde, dit-elle. Je ne sais pas bien qui a tort ou qui a
raison, mais je sais que tu es déçu, et je compatis.
— Merci quand même de m’avoir soutenu.
— Je te soutiendrai toujours.
— Je devrais peut-être cesser de défendre
systématiquement les causes de Caris.
— Je suis d’accord, mais ça te rend triste, je le vois
bien.
— Triste et furieux. J’ai l’impression d’avoir perdu la
moitié de ma vie à l’attendre.
— L’amour n’est jamais du temps perdu. »
Il la regarda, surpris, et déclara au bout d’un
moment : « Tu es quelqu’un d’avisé.
— Nous sommes tous les deux seuls dans la maison, à
part Lolla. Tous les clients de Noël sont partis. » Elle se leva et vint
s’agenouiller devant lui. « Je voudrais t’apporter mon réconfort, si c’est
possible. »
Il regarda son visage rond et chaleureux et sentit ses
résolutions mollir. Il y avait si longtemps qu’il n’avait tenu entre ses bras
le doux corps d’une femme. Néanmoins, il secoua la tête. « Je ne veux pas
me servir de toi ! »
Elle sourit. « Je ne te demande pas de m’épouser ;
je ne te demande même pas de m’aimer. Il se trouve seulement que je viens
d’enterrer mon père et toi, de subir une déception. Nous avons l’un comme
l’autre besoin de nous raccrocher à la chaleur d’un être.
— Pour atténuer la douleur, comme on boit un verre de
vin ? »
Elle saisit ses mains et posa un baiser au creux de ses
paumes, avant de les appliquer sur sa poitrine. « C’est mieux que le
vin ! »
Ses seins, fermes et doux, arrachèrent un soupir à Merthin.
Elle releva la tête, il se pencha et effleura ses lèvres.
Elle murmura de plaisir. Le baiser était aussi délicieux qu’une boisson fraîche
par une chaude journée. Pourquoi l’interrompre ?
Elle finit par se détacher, pantelante, pour faire passer sa
robe par-dessus sa tête. Dans la lumière du feu, son corps n’était que rondeurs
rosées. Rondes les hanches sur lesquelles il posa les mains pour l’attirer vers
lui, rond son ventre qu’il baisa sans quitter son siège, et ronds aussi les
tétons roses de ses seins.
Levant les yeux vers son visage empourpré, il proposa dans
un murmure : « Tu veux monter à l’étage ?
— Non, répondit-elle hors d’haleine, je ne peux plus
attendre. »
62.
L’élection de la prieure devait se dérouler le lendemain de
Noël. Au matin de ce jour-là, Caris se sentit si déprimée qu’elle put à peine
sortir de son lit. Quand les cloches sonnèrent matines, elle faillit rabattre
sa couverture sur sa tête et se faire porter malade. Mais comment se prétendre
mal en point quand tant de personnes étaient aux portes de la mort ? Elle
se força donc à se lever pour conduire le cortège des religieuses jusqu’à la
cathédrale.
Marchant de front avec Élisabeth, elle traînait des pieds
sur les dalles glacées du cloître. Marcher de front, tel était la procédure
retenue puisque ni l’une ni l’autre ne voulait céder la préséance à sa rivale,
et il en irait ainsi jusqu’à ce que la situation soit clarifiée. Mais Caris ne
se souciait plus du résultat du vote. Il était d’ores et déjà connu :
Élisabeth serait élue prieure. Bâillant et tremblant de froid dans le chœur,
Caris passa tout le temps dévolu à la récitation des Psaumes et aux lectures à
ressasser sa colère – colère à l’égard des religieuses qui l’avaient rejetée, à
l’égard de Godwyn qui la haïssait et à l’égard de ces méprisables marchands de
la ville qui avaient refusé d’intervenir en sa faveur.
Sa vie était un échec. Elle n’avait pas construit l’hôpital
dont elle rêvait et elle ne le ferait jamais.
Sa colère se portait également sur Merthin qui s’obstinait à
lui faire une proposition qu’elle ne pouvait accepter. Il ne comprenait rien.
Pour lui, le mariage était comme la clef de
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