Un Monde Sans Fin
travail sur le perron du porche. Ce
seuil suffisamment vaste pour que les fidèles y tiennent parfois réunion était
à présent occupé par un solide appareillage en bois soutenant le vantail neuf
en position verticale. Cette sorte de chevalet se dressait devant la porte que
Merthin devait recopier et qui était toujours en place. Il avait été installé
tout au bord des marches de façon à recevoir le plus de lumière possible.
Concentré sur sa tâche, le jeune homme tournait le dos à Caris et ne l’avait
pas vue venir. En raison du martèlement de la pluie, il n’avait pas davantage
entendu ses pas, de sorte qu’elle put rester un moment à le regarder travailler
sans qu’il s’en rende compte.
Il n’était pas grand, à peine un peu plus qu’elle. Il avait
un corps nerveux et une grande tête intelligente. Ses mains, petites, se
déplaçaient avec adresse sur le panneau et de longues spirales de bois
jaillissaient de son couteau affûté tandis que de nouvelles formes naissaient
sous ses doigts. Il avait le teint très clair et une toison de cheveux roux.
« Il n’est pas très beau », avait fait remarquer Alice avec une moue
quand Caris lui avait confessé en être amoureuse. Et c’était vrai qu’il n’avait
pas la beauté éclatante de son frère Ralph. Mais elle trouvait son visage
merveilleux : irrégulier et bizarre, plein de sagesse et de gaieté à la
fois. Exactement comme il l’était lui-même.
« Bonjour ! lança-t-elle, et elle eut un éclat de
rire en le voyant sursauter. Ça ne te ressemble pas d’être terrorisé aussi
facilement.
— Je ne m’attendais pas à te voir ! » Il
hésita avant de l’embrasser. Il semblait mal à l’aise, mais cela lui arrivait
parfois quand il était concentré sur une tâche.
Elle admira le haut-relief. Il y avait là cinq vierges, de
part et d’autre du centre de la porte ; les sages assistaient au banquet
du mariage et les folles, restées dehors, tenaient leurs lampes à l’envers pour
montrer qu’elles n’avaient plus d’huile. Merthin avait recopié le motif de
l’ancienne porte en y apportant de subtils changements. Les vierges se tenaient
en rang d’oignons, cinq d’un côté et cinq de l’autre, comme les arches de la
cathédrale, mais celles de la nouvelle porte n’étaient pas exactement
identiques les unes aux autres. Merthin leur avait donné à chacune un trait
individuel. L’une était jolie, l’autre avait les cheveux bouclés, une autre
encore pleurait, sa voisine clignait de l’œil d’un air malfaisant. Il avait
fait d’elles des êtres réels, au point que celles représentées sur l’ancienne
porte paraissaient maintenant raides et privées de vie. « C’est superbe,
commenta Caris. Je me demande seulement comment les moines réagiront.
— Frère Thomas trouve ça très bien, répondit Merthin.
— Et le prieur ?
— Il ne l’a pas encore vu. Il faudra bien qu’il s’en
accommode s’il ne veut pas payer deux fois ! »
Caris hocha la tête. Elle connaissait le caractère
parcimonieux de son oncle Anthony et le savait dénué de tout esprit d’aventure.
On verra bien, se dit-elle. La mention du prieur lui rappela sa mission.
« Mon père veut que tu le retrouves près du pont avec le prieur.
— Ah, tu sais pour quoi ?
— Je crois qu’il veut demander à Anthony de bâtir un
nouveau pont. »
Merthin rangea ses outils dans sa sacoche de cuir et, d’un
rapide coup de balai, débarrassa le porche de la sciure et des copeaux de bois.
Puis il partit sous la pluie à travers la foire en compagnie de Caris, et
descendit la grand-rue jusqu’au pont.
Chemin faisant, la jeune fille lui rapporta les propos de
Buonaventura au petit déjeuner. Merthin estima lui aussi que les foires de ces
dernières années étaient moins vivantes et animées que celles de son enfance.
Malgré tout, sur l’autre rive, une longue file de gens et de carrioles
faisaient la queue à l’entrée du pont. De ce côté-ci, un moine assis dans une
guérite recevait un penny de toute personne entrant à Kingsbridge lestée de
marchandises à vendre. Si l’étroitesse du pont interdisait la resquille, elle
obligeait ceux qui étaient exemptés de cette taxe – principalement les
habitants de la ville – à attendre avec les autres. Attente que prolongeait
encore l’extrême lenteur avec laquelle les carrioles traversaient le pont en
raison du tablier très dégradé. Par voie de conséquence, la file
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