Un Monde Sans Fin
dans un
instant. »
Elle s’écroula sur le sol.
*
Une vague de panique submergea Merthin. Caris n’était jamais
souffrante, n’avait jamais besoin d’être soutenue : c’était elle qui
prenait toujours soin des autres. Incapable de l’imaginer sous les traits d’une
victime, il demeurait sur place, éberlué.
Reprenant ses esprits, il rendit son bébé à Tilly.
Près de la table, la servante s’était figée et fixait Caris
évanouie, les yeux emplis de terreur. « Cours à l’hospice, lui intima
Merthin sur un ton aussi calme que possible. Dis-leur que mère Caris est
souffrante et ramène sœur Oonagh. File, ajouta-t-il, ne perds pas un
instant ! » La jeune fille partit en courant.
Merthin s’agenouilla près de Caris. « M’entends-tu, ma
chérie ? » Il prit sa main et la tapota, caressa sa joue, souleva
l’une de ses paupières. Elle demeurait inconsciente.
« C’est la peste, n’est-ce pas ? dit Tilly.
— Oh, mon Dieu...»
Fluet de constitution, Merthin avait acquis une force
insoupçonnée de par son métier. Ayant pris Caris dans ses bras, il la souleva
sans peine et la déposa délicatement sur la table. « Ne nous quitte pas.
Je t’en supplie, ne nous quitte pas. »
Il déposa un baiser sur son front. Elle avait la peau
brûlante. Il l’avait remarqué tout à l’heure, quand ils s’étaient embrassés,
mais il ne s’en était pas inquiété, troublé par la passion qu’elle manifestait.
Une passion due à la fièvre ? se demandait-il maintenant. La fièvre,
parfois, vous mettait dans des états inattendus.
L’arrivée de sœur Oonagh fut pour Merthin un tel soulagement
qu’il en eut les larmes aux yeux. Il savait que Caris considérait cette
religieuse sortie du noviciat un ou deux ans auparavant comme l’une de ses
meilleures recrues et qu’elle la formait dans l’intention de lui confier un
jour la direction de l’hospice.
Oonagh prit soin de se couvrir la bouche et le nez d’un
bandeau de lin qu’elle noua sur sa nuque avant de s’approcher de Caris. Ayant
posé la main sur son front puis sa joue, elle s’enquit : « A-t-elle
éternué ?
— Non », répondit Merthin en s’essuyant les yeux.
Il l’aurait forcément remarqué. Dans les circonstances
actuelles, tout le monde savait qu’un éternuement était de très mauvais augure.
Oonagh défit le haut de la robe de Caris pour examiner sa
poitrine. Qu’elle semblait vulnérable, ainsi dénudée ! songea Merthin avec
émotion. Contemplant sa gorge délicate, il constata avec soulagement qu’elle ne
présentait aucune tache violacée.
Oonagh la rhabilla et entreprit d’inspecter ses narines.
« Pas de saignement », observa-t-elle. Elle prit son pouls, l’air
pensif. Au bout de quelques secondes, elle se tourna vers Merthin. « Ce
n’est sans doute pas la peste, mais c’est grave. Elle a de la fièvre, son pouls
est rapide et sa respiration haletante. Portez-la dans sa chambre, couchez-la
et baignez son visage à l’eau de roses. Quiconque s’occupera d’elle devra
porter un masque et se laver les mains au vinaigre, comme si elle avait la
peste. Cela vaut également pour vous », ajouta-t-elle en tendant un
bandeau de lin à Merthin.
Il attacha son masque en pleurant. Caris dans les bras, il
grimpa l’escalier qui menait à sa chambre et la déposa sur sa couche. Il était
en train d’arranger sa robe quand deux religieuses entrèrent avec de l’eau de
roses et du vinaigre. Merthin leur transmit les instructions de Caris
concernant Tilly. Elles repartirent en emmenant avec elles la jeune mère et son
enfant pour les conduire au réfectoire. Merthin s’assit auprès de Caris. Il
bassina son front et ses joues avec un linge imbibé d’eau parfumée en priant
pour qu’elle reprenne connaissance.
Enfin, elle ouvrit les yeux. Regardant autour d’elle sans
comprendre, elle demanda d’une voix inquiète : « Que s’est-il
passé ?
— Tu t’es évanouie », répondit Merthin.
Elle voulut se redresser.
« Ne t’agite pas, dit-il. Tu es malade. Sœur Oonagh dit
que ce n’est pas la peste, mais que c’est très grave. »
Elle devait se sentir faible, car elle reposa la tête sur
l’oreiller sans protester. « Je vais dormir une heure, dit-elle. Pas
plus. »
Elle garda le lit deux semaines.
*
Au bout de trois jours, Caris avait le blanc des yeux jaune
vif. Sœur Oonagh diagnostiqua une jaunisse. Elle prépara une tisane aux plantes
qu’elle
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