Un Monde Sans Fin
adoucit au miel et ordonna à Caris d’en boire un bol fumant trois fois
par jour. Ce remède fit tomber la fièvre assez vite. Hélas, il ne lui rendit
pas les forces dont elle avait besoin pour reprendre son travail. Chaque jour,
elle s’inquiétait de l’état de Tilly. Oonagh lui donnait de ses nouvelles, mais
refusait d’évoquer tout autre aspect de la vie du couvent pour ne pas la
fatiguer. Trop faible pour lui tenir tête, Caris n’avait d’autre choix que de
se soumettre.
Durant toute sa convalescence, Merthin ne quitta pas le
palais du prieur. Le jour, il demeurait au rez-de-chaussée, assez près de
l’escalier pour l’entendre au cas où elle l’appellerait, et c’était là qu’il
recevait les responsables de ses différents chantiers venus prendre leurs
instructions. Le soir, il s’étendait sur un matelas à côté de Caris,
s’éveillant au moindre de ses mouvements ou au plus petit changement de rythme
dans sa respiration. Il avait installé Lolla dans la pièce voisine.
Un matin, vers la fin de la première semaine, Ralph poussa
la porte du palais.
« Ma femme a disparu ! » lança-t-il en guise
de salut.
Occupé à tracer un plan sur une grande ardoise, Merthin
releva les yeux sur lui. « Bonjour, frérot ! »
Ralph avait l’air nerveux, remarqua-t-il par-devers lui.
Comme tout homme ayant perdu son épouse, se dit-il aussitôt, bien qu’il sache
pertinemment que son frère n’avait jamais aimé la sienne. Sans doute était-il
mortifié que Tilly l’ait quitté.
Il se sentit un peu coupable : en venant en aide à la
jeune maman, il avait participé à l’humiliation de son frère.
Ralph s’assit sur un banc. « Tu as du vin ? J’ai
le gosier sec. »
Merthin alla prendre une carafe dans le buffet et servit une
coupe à Ralph. L’espace d’un instant, il songea à lui dire qu’il n’avait pas la
moindre idée de l’endroit où se trouvait Tilly, mais l’idée de lui mentir – qui
plus est sur un sujet aussi grave – lui déplut. De toute façon, trop de
religieuses, de novices et d’employés du prieuré l’avaient aperçue au cours des
jours passés. Il tendit la coupe à Ralph. « Elle est ici, au couvent, avec
le petit.
— Je m’en doutais. »
Ralph saisit la coupe de sa main gauche, amputée de trois
doigts, et la vida d’un trait. « Qu’est-ce qui lui a pris de partir comme
ça ?
— Apparemment, elle te fuit.
— Tu aurais dû me prévenir qu’elle était ici.
— Je sais, excuse-moi. Je ne pouvais pas la trahir.
Elle était terrifiée.
— Mais pourquoi prends-tu son parti contre moi ?
Je suis ton frère, quand même !
— Parce que je te connais. Si Tilly a peur de toi, il y
a sûrement une raison.
— Mais c’est insensé ! »
Ralph avait beau jouer l’indignation, il n’était pas
convaincant. Merthin se demanda ce qu’il avait derrière la tête.
« Nous ne pouvons pas l’expulser, dit-il. Elle a
réclamé asile et protection au prieuré.
— Gerry est mon fils et mon héritier. Vous ne pouvez
pas le garder ici.
— Pas indéfiniment, non. Si tu intentes un procès au
couvent, tu le gagneras assurément. Mais tu n’irais pas jusqu’à séparer un
enfant de sa mère, quand même ?
— Je ne les séparerai pas : il y a tout à parier
que, si je récupère le petit, elle rentrera avec lui. »
C’était probable, en effet. Merthin cherchait désespérément
un argument susceptible de convaincre Ralph de laisser Tilly en paix quand
Thomas fit son entrée. De sa main unique, il emprisonnait le bras d’Alan
Fougère et le maintenait comme pour l’empêcher de s’échapper. « J’ai
trouvé cette canaille en train de fouiner dans le prieuré.
— Mais pas du tout ! protesta Alan. Je me
promenais tranquillement dans le monastère, persuadé qu’il était désert.
— Comme tu vois, il est habité ! dit Merthin. Il y
a ici un moine, six novices et plusieurs dizaines d’orphelins.
— De toute façon, expliqua Thomas, ce triste sire n’était
pas dans le monastère, mais dans le cloître du couvent ! »
Merthin s’assombrit. Il entendait, au loin, chanter un
Psaume. Alan avait soigneusement minuté sa visite : il s’était introduit
dans le couvent pendant que la congrégation tout entière assistait à sexte à la
cathédrale. La plupart des bâtiments du prieuré étaient vides à cette
heure ; il avait pu rôder à sa guise pendant un bon moment.
Ses déambulations ne
Weitere Kostenlose Bücher