Un Monde Sans Fin
d’habitants de
Kingsbridge envahissaient non seulement le pré devant la cathédrale, mais aussi
toutes les grandes rues de la ville. Cette année, la foule était loin d’être
aussi dense. Néanmoins, la foire rencontrait un succès tout à fait honorable,
compte tenu des circonstances. Sans doute les gens sentaient-ils que la peste
faiblissait et les survivants se croyaient-ils invulnérables. Peut-être
l’étaient-ils en effet, pour certains. Cependant, loin d’avoir disparu,
l’épidémie continuait à tuer.
Sur le champ de foire, on ne parlait que de l’étoffe de
Madge. Les nouveaux métiers fabriqués par Merthin n’étaient pas seulement plus
rapides, ils facilitaient également le tissage de motifs nettement plus
élaborés.
Lorsque Caris s’arrêta devant son étal, Madge avait déjà
vendu la moitié de sa marchandise. La Tisserande lui répéta une fois de plus
que, sans elle, elle serait restée sans le sou. Caris l’assurait du contraire
quand des cris s’élevèrent, à une trentaine de pas de là.
Les voix, éclatantes et agressives, provenaient du voisinage
d’un tonneau de bière. À l’évidence, une bagarre était sur le point d’éclater.
Subitement, les cris s’amplifièrent et une jeune femme poussa un hurlement.
Caris se précipita, espérant prévenir l’altercation avant qu’elle n’échappe à
tout contrôle.
Las, elle arriva trop tard. La rixe avait commencé. Quatre
jeunes voyous de la ville se battaient furieusement avec un groupe de paysans
identifiables à leurs vêtements de grosse toile. Ils venaient sûrement tous du
même village. Une jolie jeune fille, sans doute celle qui avait crié, essayait
vainement de séparer deux hommes qui s’expédiaient des coups de poing d’une
violence impitoyable. L’un des garçons de la ville avait sorti un
couteau ; les paysans brandissaient de lourdes pelles en bois. Le temps
que Caris arrive à leur hauteur, la mêlée avait enflé, des renforts étant venus
se joindre aux deux camps.
Caris se tourna vers Madge, qui l’avait suivie.
« Envoyez quelqu’un quérir Mungo le Sergent, vite ! Il doit être dans
la salle de police. » Madge partit en courant.
La bagarre allait empirant. Plusieurs des garçons de la
ville avaient désormais le couteau à la main. Un jeune paysan gisait au sol, le
bras en sang ; un autre continuait à se battre malgré une profonde entaille
au visage. Bientôt, deux citadins se mirent à bourrer de coups de pied le
paysan à terre.
Après une hésitation, Caris agrippa la tunique du garçon le
plus proche. « Willie le Boulanger, cesse tes brutalités sur-le
champ ! » hurla-t-elle en mettant dans sa voix toute son autorité.
Le jeune homme incriminé lâcha son adversaire et recula,
l’air coupable, surpris de découvrir Caris devant lui. Elle ouvrait la bouche
pour interpeller les autres, quand elle reçut sur la tête un violent coup de
pelle certainement destiné à Willie.
Elle ressentit une douleur insupportable. Sa vue se
brouilla. Elle perdit l’équilibre et s’écroula sur l’herbe. Elle demeura un
moment immobile, à tenter de reprendre ses esprits. Le monde tanguait autour
d’elle. Puis elle se sentit soulevée par les aisselles et traînée à l’écart.
« Vous êtes blessée, mère Caris ? » lui
demanda une voix familière, qu’elle ne put identifier.
Enfin, elle y vit un peu plus clair et parvint à se relever
en chancelant, soutenue par son sauveur. C’était Megg Robins, la musculeuse
marchande de maïs.
« Juste un peu étourdie, la rassura Caris. Vite,
empêchons ces garçons de s’entre-tuer !
— Voilà le sergent et son équipe ! Ils vont s’en
charger. »
En effet, Mungo et six ou sept de ses volontaires arrivaient
en courant, matraques brandies. Ils plongèrent dans la mêlée, abattant leurs
gourdins sans discrimination sur le crâne des belligérants. Leur intrusion
soudaine sema la confusion sur le champ de bataille. Les combattants se
figèrent, stupéfaits ; certains s’enfuirent. En un temps remarquablement
court, le calme était revenu.
« Megg, courez chercher sœur Oonagh au couvent, et
dites lui d’apporter des bandages », lui intima Caris.
Megg s’exécuta.
Les blessés capables de marcher se dispersèrent très vite.
Caris entreprit d’examiner ceux qui restaient. Un jeune
paysan, le ventre déchiré par un coup de couteau, s’efforçait en vain de
retenir ses boyaux. Pour lui, il y n’avait guère
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