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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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complicité avec son grand-père, de qui il avait adopté les goûts et même les tics, était telle que tous voyaient déjà, dans l'adolescent, le futur maître de Soledad.
     
    Ce soir-là, Ottilia lui avait donné pour cavalière la plus jeune des cinq filles du pasteur Russell, Violet, d'un an son aînée. Blonde au long visage osseux, peu loquace, dont le regard était empreint d'inquiétude. Elle craignait que sa mère, au fil des libations, ne fît scandale.
     
    – Il est rare qu'un garçon assiste au mariage de son père avec une demi-sœur de sa défunte mère, observa d'un ton acerbe Dorothy Weston Clarke.
     
    – Il est encore plus rare, madame, qu'une telle union ait été souhaitée par un orphelin, répliqua Violet avec aplomb, pour éviter à Charles de répondre à une femme de qui tout le Cornfieldshire redoutait les propos venimeux.
     
    Contrainte de suivre son mari dans l'exil, Dorothy n'avait jamais pu s'acclimater à Soledad. Elle regrettait Mayfair, où elle était née, les théâtres et les belles boutiques de New Bond Street, les thés chez les bourgeoises cancanières, les brillantes réceptions de la Medical and Chirurgical Society, dont Albert Weston Clarke avait été exclu pour faute professionnelle.
     
    Les félicitations adressées aux nouveaux mariés furent chaleureuses mais discrètes et lord Simon laissa le soin à Maoti-Mata, doyen de l'assemblée, de prononcer le toast de circonstance.
     
    Le cacique, connaissant l'âge de la mariée – Ottilia était entrée dans la quarantaine – et sachant sans doute son incapacité à procréer, s'abstint de toute allusion à la fécondité possible du nouveau couple. Il rappela seulement que, chez les Arawak, le célibat était considéré comme une tare.
     
    – Un homme sans épouse risque de dériver, comme un voilier sans voiles, et de faire naufrage, conclut-il.
     

    Le cadeau de lord Simon, une parcelle du Cornfieldshire, située sur la côte ouest, à quelques miles au nord de Cornfield Manor, permit à Charles d'entreprendre aussitôt, d'après les plans offerts par Murray, la construction d'une vaste demeure à un étage, avec combles et galerie périptère. Les époux décidèrent de nommer leur résidence Malcolm House, en souvenir de l'architecte.
     
    Ce fut dans cette ambiance, à la fois active et sereine, que, huit jours avant No'l, les Lowell annoncèrent leur visite, avec leurs deux enfants. Viola, restée très attachée à sa famille arawak et respectueuse des aînés, tenait à présenter Leontyne et Richard, âgés de trois et deux ans, à leur parentèle, de l'arrière-grand-père, Maoti-Mata, au dernier de leurs petits-cousins. Il fut décidé qu'en janvier Pacal partirait avec eux pour Boston, ce qui dispenserait Charles d'un voyage, au moment où il s'affairait pour accélérer la construction de Malcolm House, qu'Ottilia se disait impatiente de décorer.
     
    Au commencement de l'année, la veille du départ de Pacal Desteyrac-Cornfield pour Boston, lord Simon donna un petit dîner pour les époux Lowell, qui prenaient en charge son petit-fils puisque le futur étudiant logerait chez eux. C'était la première fois que Viola, beauté indienne mais autrefois simple nurse de Pacal à Valmy, se trouvait à la table du maître de l'île. Bien qu'intimidée, elle se comporta en convive parfaite, assez fière que son mari, amputé depuis la bataille de Shiloh, en 1862, fît usage de ses mains artificielles sans difficulté.
     
    Le lendemain, tandis qu'il regagnait le chantier de Malcolm House, après avoir accompagné les Lowell et son fils au port occidental, où ils s'étaient embarqués sur le bateau-poste pour Nassau, Charles aperçut, de loin, lord Simon, hiératique sur son cheval, campé au bord de la falaise. Le vieil homme, muni d'une longue-vue, suivait la marche du bateau, qui s'éloignait sur l'Océan, animé, ce matin-là, par une paisible houle.
     
    Le soir, à Cornfield Manor, le maître de l'île ne parut pas au dîner, mais Charles et Ottilia entendirent, tard dans la nuit, les torrents de sons déversés par les tuyaux d'étain de l'orgue. Tous jeux ouverts, lord Simon demandait à Jean-Sébastien Bach de le consoler de la longue absence de son petit-fils.
     
    Au cours des mois qui suivirent, Charles et Ottilia s'installèrent dans la vie conjugale. Deux chambres et un salon leur avaient été aménagés à Cornfield Manor, lord Simon estimant que les époux devaient dormir, sinon

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