Un paradis perdu
faire escale, suggéra Pacal au commandant.
Lewis Colson désigna le ciel, depuis deux jours chargé de nuages boursouflés venant de l'est, mais il se résigna à satisfaire ce nouveau souhait de son passager. Longeant vers le nord la côte de Floride, le Centaur jeta l'ancre, deux jours plus tard, dans la baie du Matanzas.
Saint Augustine, petite ville de quatre mille habitants, située sur une presqu'île, entre les fleuves Matanzas et San Sebastian, passait pour la plus ancienne ville des États-Unis. C'est dans ces parages que Ponce de León avait abordé le Nouveau Monde en 1519, et la cité conservait de vieilles maisons espagnoles avec balcons de fer forgé et patios. Elle ne possédait en revanche qu'un seul hôtel sans confort, le San Marco, mais les autorités locales donnèrent à entendre aux visiteurs britanniques qu'on devrait bientôt en construire d'autres pour accueillir les touristes. Inspiré par le sens grand-paternel des affaires, Pacal acquit à vil prix des terrains qu'il pourrait vendre, plus tard, aux bâtisseurs s'il s'en présentait.
Ce qu'espérait secrètement le fils de Charles Desteyrac arriva. À peine le Centaur avait-il appareillé pour faire route au sud-est, vers les Bimini Islands et, de là, vers les Berry Islands et New Providence avant de rejoindre Soledad, que Lewis Colson commanda un demi-tour pour revenir à Saint Augustine.
À soixante-huit ans, l'officier, qui naviguait depuis l'adolescence, connaissait les signes sibyllins que les nuées, les vents et l'Océan adressent aux disciples d'Ulysse pour les inviter à mettre leur navire à l'abri des colères de Neptune. Sous un ciel où couraient d'est en ouest des troupes de nuages, du blanc cotonneux au gris anthracite, les bourrasques soudaines et les ondées violentes constituaient l'avant-garde d'un ouragan né, comme tous, sur les côtes de l'Afrique équatoriale, dans l'archipel du Cap-Vert.
– On sait, depuis les Phéniciens, que Poséidon peut pétrifier les navires désobéissants, dit le marin mi-sérieux, mi-plaisant.
Une crique abritée, entre la côte floridienne et l'île Anastasia, qui fermait la baie du Matanzas, accueillit la goélette qui y trouva, toutes voiles ferlées, ancres solidement établies, ce que Colson nomma un reposoir. Pacal approuva la décision du commandant alors que, sur la côte, les palmiers ébouriffés ployaient comme des arcs et que, de temps à autre, s'envolait une toiture de palmes d'une maison de pêcheurs.
Les jours d'attente durèrent des semaines, les cyclones succédant aux tempêtes et les journaux américains livrés à Saint Augustine faisant état de dégâts considérables dans les Carolines. Pour meubler les loisirs imposés, Colson enseigna à son passager les rudiments du métier de marin. Pacal apprit à se servir du sextant, à tracer une route sur la carte, à calculer la dérive d'un bateau, à interpréter le lof, à lire les pavillons internationaux et, aussi, d'utiles finasseries de loup de mer, ignorées des instructions nautiques.
Fin décembre, Éole et Neptune ayant épuisé leurs forces, Lewis Colson donna le signal du départ.
– Il était temps, car je craignais des désertions, confia-t-il à Pacal.
Les marins qui, par bordées, se rendaient à terre, avaient noué, au cours des mois, de tendres relations avec de belles octavonnes, sang noir mêlé de sang espagnol, dont tous vantaient la beauté, la douceur et les brûlantes ardeurs.
Malgré la mauvaise volonté de vents capricieux, le retour vers Soledad fut paisible. En débarquant au port oriental, deux jours avant Noël, Lewis Colson se déclara soulagé.
Pacal, lui, ne l'était pas. Il savait qu'il allait devoir affronter son père, à qui lord Simon avait dû montrer la coupure du journal de Pittsburgh révélant le meurtre commis par Lowell, la mort de Viola et la raison de ce drame. Même si son grand-père avait préparé tous les intéressés et si des mois s'étaient écoulés depuis l'annonce de l'événement, il pouvait craindre des remontrances.
Charles Desteyrac accueillit son fils avec la tendresse virile qui, toujours, prévalait dans leurs rapports. La journée étant consacrée aux retrouvailles, aucune allusion ne fut faite, ce jour-là, au drame de Pittsburgh.
Le lendemain soir, se retrouvant seul avec son père, après le dîner, sur la galerie de Malcolm House, le jeune homme s'attendait à ce que
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