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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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s'embarqua sur le Centaur , dont le commandement avait été confié au retraité Lewis Colson. La navigation, de Soledad à la Floride, exigeait un marin au fait de toutes les traîtrises des récifs et courants de l'archipel. Lord Simon n'eût pas confié son héritier à un autre marin. Un petit-fils de Sima, Cleophas, qu'on appelait Cleo, habile pêcheur d'éponges comme son grand-père, faisait partie de l'expédition. Le jeune Arawak, ancien élève du pasteur Russell, lisait et écrivait l'anglais et l'espagnol et savait tenir un livre de comptes. C'est pourquoi lord Simon l'avait désigné pour diriger les plongeurs bahamiens employés depuis peu en Floride.
     
    « Il faut veiller à ce que les grossistes américains en éponges et écaille de tortue cessent de gruger les sujets indiens de Sa Très Gracieuse Majesté la reine Victoria », avait dit le lord.
     
    Au cours d'une journée de navigation à l'ouest, le voilier franchit le passage entre le sud d'Eleuthera et le nord de Cat Island puis, mettant cap au sud, longea sous vent faible, pendant une semaine, les dangereux îlots, dits Exuma Cays, avant de se glisser entre Little Exuma et Long Island, naguère renommée pour ses plantations de coton. Colson engagea alors son voilier à l'ouest, « sur la ligne idéale nommée tropique du Cancer », fit-il observer à Pacal.
     
    Après une escale à Mars Bay, à la pointe sud d'Andros Island, la plus grande île de l'archipel, provisions faites, la goélette cingla nord-nord-ouest vers ce que les Américains nommaient les Florida Keys. Après avoir parcouru près de sept cents milles en trois semaines, les voyageurs découvrirent Key West.
     
    À deux cent soixante dix-sept milles du continent américain et à deux cent quarante milles de La Havane, l'île constituait l'extrême pointe sud-ouest d'un chapelet de trente-deux îlots coralliens sablonneux, étiré dans le prolongement de la presqu'île de Floride.
     
    Dans les journaux américains, on présentait Key West comme la ville la plus riche et la plus peuplée de Floride. Elle comptait plus de vingt mille habitants, dont un bon tiers de Bahamiens. Les Indiens seminole, premiers occupants, avaient été tués ou chassés par les conquérants successifs, Espagnols et Anglais. La place était échue aux États-Unis, en même temps que la Floride, en 1821.
     
    En ce printemps 1880, les habitants d'origine espagnole racontaient que les Bahamiens fuyaient leur archipel, propriété de la couronne britannique, pour éviter de payer des impôts jugés trop lourds ! En vérité, la plupart des émigrés venus des îles étaient d'humbles pêcheurs d'éponges et de tortues, ou des manœuvres attirés par les chantiers de construction dont on annonçait l'ouverture pour faire face à l'expansion du tourisme. Comme la nourriture préférée des Bahamiens restait le conch chowder – soupe épaisse relevée de conches rissolées avec tomates, carottes, poivrons, oignons et bacon – les Américains les surnommaient tous les Conchies, après avoir entendu les insulaires appeler tout Blanc Conchy Jo. On comptait aussi beaucoup de Cubains, qui avaient fui l'administration espagnole. Ces derniers travaillaient dans les cent soixante-six fabriques de cigares qui produisaient maintenant cent millions de pièces par an.
     
    Parmi les visiteurs connus, on citait avec fierté l'ornithologue et peintre français Jean-Jacques Audubon 2 . Il avait séjourné à Key West en 1831, pour peindre ou dessiner les oiseaux. Maintenant on rencontrait parfois Thomas Edison, inventeur du téléphone, et son ami George Eastman, le fabricant de plaques au gélino-bromure pour appareils photographiques.
     
    Le décor naturel parut familier à Pacal et à Lewis. L'île pouvait passer pour jardin tropical offrant la même flore que celle des Bahamas. Cocotiers, palmiers, bougainvillées, tamariniers, manguiers, goyaviers, poivriers, yuccas décoraient la ville aux rues de terre battue, au long desquelles se dressaient, sans souci d'alignement, des maisons de bois. Sur Green Street, principale artère, les bars abondaient où l'on buvait du rhum, de la tequila et d'étranges mélanges alcoolisés. La plus belle maison de la ville, construite en 1851 par un riche armateur américain, constituait un bon exemple du style colonial importé de New Orleans. Faite de pierre blanche, ceinte d'une véranda avec balustre en fer forgé, elle retint l'attention des visiteurs. Quand

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