Un paradis perdu
fit un signe de reconnaissance avec son éventail. Aussi, Pacal ne fut-il pas étonné de la trouver dans le hall, à l'issue de la conférence. La vieille dame avait disparu.
– Accepteriez-vous de prendre un rafraîchissement dans le jardin du Victoria ? demanda-t-il aussitôt.
– Je meurs de soif, bien que nous n'ayons entendu parler que de mers glacées, dit-elle.
– Mais je n'ai pas de voiture.
– Nous pouvons marcher un demi-mile, assura-t-elle en prenant sans gêne le bras de Pacal, bien que plusieurs couples l'aient salué avec une déférence que ne justifiait pas sa jeunesse.
– Vous ne craignez pas de vous compromettre en compagnie d'un étranger.
– Le petit-fils du lord des Bahamas n'est pas un étranger à Nassau. Vous êtes connu des Upper Ten et même de la Upper Middle Class 8 . Je suis certaine que toutes les femmes qui nous ont vu quitter le théâtre ensemble m'envient. Et votre nom me met à l'abri des cancans.
– Que fait votre mari ?
– Des comptes. C'est son métier : il est conseiller du gouverneur pour les finances et dignitaire, à je ne sais quel degré élevé, de la Royal Victoria Lodge. C'est lui qui a dirigé la construction du nouveau temple maçonnique sur Bay Street. Vous avez vu cette bâtisse néoclassique prétentieuse ?
– Elle est dans le style qui plaît aux Américains, de plus en plus nombreux à visiter nos îles. Ils sont portés, en architecture, à la représentation du passé qui leur fait défaut. J'ai un ami architecte, à New York, qui construit des palais vénitiens pour millionnaires, dit Pacal.
La nuit étant fraîche, ils choisirent une table sous la galerie de l'hôtel. Lizzie demanda deux doigts de porto, Pacal commanda un pink gin et obtint la permission d'allumer sa pipe.
Leur conversation fut celle de deux personnes désireuses de se mieux connaître. Quand ils se séparèrent, Lizzie savait comment on vivait à Soledad et Pacal avait compris que Michael Ferguson était un mari d'autant plus accommodant qu'il « aimait ailleurs et autrement », comme elle le dit sans aucune gêne. Les Ferguson maintenaient la fiction d'un couple uni et distingué, eu égard à la position sociale d'un proche du gouvernement.
Quand elle demanda à Pacal de faire appeler une voiture, elle l'assura qu'elle serait, le lendemain, sur le terrain de polo.
– Apportez de la charpie et du taffetas d'Angleterre. Il est probable que j'aurai quelques horions à panser, dit-il en lui baisant la main, avant de l'aider à monter dans une carriole à dais de toile frangée.
Liz Ferguson tint sa promesse. En arrivant, Pacal l'aperçut au premier rang de la tribune découverte, dans une robe de pékiné rose et noir, coiffée d'une capeline de paille, gantée de blanc.
Quand il se mit en selle avec ses trois équipiers, il trouva, nouée à la bride de son cheval, une écharpe de soie à bandes roses et noires, identique à la robe de Lizzie.
– Une lady l'a apportée, expliqua un lad.
« Elle souhaite que je porte ses couleurs, comme autrefois les chevaliers celles de leur dame dans les tournois », se dit-il.
Ce geste, d'un romantisme suranné, le fit sourire mais lui plut. Ôtant le foulard du harnais, il le passa dans sa ceinture et prit le trot pour gagner sa place au milieu du terrain.
Comme l'avaient craint les cavaliers de la Navy, la rencontre fut âprement disputée. Leurs adversaires, officiers du First West Indies Regiment , pratiquaient un polo athlétique, ignorant des finesses anglo-indiennes, mais efficace. Lors des six assauts de dix minutes, la balle en bois de saule entra sept fois entre les poteaux de la Navy, cinq fois seulement dans ceux des militaires ; et Pacal dut changer de poney dès la seconde période, sa meilleure monture s'étant mise à boiter.
– Votre admiratrice est là, lui lança Cunnings quand, après la défaite, il regagna les vestiaires tandis qu'une pluie drue crépitait sur la toile de tente.
– Hélas, je n'ai pu faire triompher ses couleurs, dit Pacal en montrant l'écharpe de Lizzie.
– Et de surcroît, elle va être trempée, ajouta le marin.
Quand, toilette faite et habillé, Pacal quitta l'abri, chargé de sa tenue de cheval et de ses bottes souillées, il ne put cacher une stupéfaction aussitôt partagée par Cunnings.
– Ça alors ! C'est de la passion où je ne connais rien aux
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