Un paradis perdu
dit-elle.
– Êtes-vous une âme sensible ?
– À vous de deviner ! En attendant, allons nous baigner. Ensuite nous déjeunerons. J'ai, dans une glacière, des jus de fruits et, dans un panier, de quoi nous sustenter, dit-elle.
Quand elle se mit debout et quitta son peignoir, Pacal découvrit une beauté fragile, tanagra de chair au petit buste arrogant, hanches étroites moulées dans un costume de bain bleu à pois jaunes, avec nœuds de rubans sur les épaules et décolleté triangulaire dans le dos. Même si la culotte bleu uni, serrée au-dessous du genou par un volant de dentelle, rompait la finesse des jambes, il fut sensible à l'équilibre de ce corps de femme. Liz couvrit ses cheveux d'un bonnet de même tissu que son costume et invita Pacal à se dévêtir. Il avait passé son caleçon de bain sous son pantalon, dont il se débarrassa avec sa chemise. Prenant leur course sur le sable, ils durent avancer dans les vaguelettes avant de perdre pied. Le brasillement aveuglant de l'Océan, le bleu lisse du ciel, la caresse méridienne du soleil, la blondeur de l'air, l'aisance de leurs mouvements dans les eaux cristallines conféraient à l'instant une félicité édenique. Ils la prolongèrent en nageant jusqu'au bout de la crique, avant de revenir au même rythme vers la plage.
Liz déroula les panneaux de toile qui fermaient les quatre côtés de la paillote, mettant ainsi ses occupants à l'abri des regards. Sans attendre, elle ôta son costume de bain et s'allongea sur le lit de bambou, s'offrant nue au regard de son compagnon, comme impatiente d'une étreinte par l'un et l'autre pressentie.
À cet instant, une confusion panique saisit Pacal, le figea debout face à Lizzie, dont le sourire s'éteignit. Il voyait Viola sur la plage de Nantasket, pareillement offerte à son désir, mais elle était morte, la tempe fracassée. Le rire grinçant d'une mouette augmenta sa terreur, il crut défaillir.
Bouleversée par la pâleur soudaine de son compagnon, ses maxillaires tendus, son regard absent, Liz devina qu'il vivait un accès de souffrance indicible.
– Passez-moi mon peignoir, demanda-t-elle, soudain consciente de l'indécence de sa nudité.
Il la couvrit vivement et, sans un mot, se rhabilla.
– Je m'en vais. Ne m'en voulez pas. Vous ne pouvez pas comprendre, bafouilla-t-il en soulevant un panneau de toile pour quitter la paillote.
– Un jour, Pacal, vous m'expliquerez. Je suis et resterai votre amie tant qu'il vous plaira, murmura-t-elle.
Il lui baisa la main et s'enfuit en courant, un spectre aux trousses.
Restée seule, Liz Ferguson s'assit sur le lit de bambou. Elle qui n'avait jamais versé de larmes, même après ses pires désillusions, se mit à pleurer doucement. S'il devait un jour lui revenir, saurait-elle donner à cet homme, plus qu'elle n'avait su offrir aujourd'hui, ce dont il avait sans doute le plus besoin : la paix du cœur ?
Jusqu'au jour de son départ pour Soledad, par le bateau-poste, Pacal Desteyrac-Cornfield resta confiné au Royal Victoria Hotel. Indispensable solitude pour analyser son comportement avec Lizzie, qui le prenait peut-être pour un babilan. Il convint enfin que la mort tragique de Viola et le crime de Bob Lowell l'avaient si profondément marqué qu'il n'avait pu se défendre, à Hog Island, d'une réminiscence terrifiante. Même s'il n'avait pas été amoureux de la jeune Arawak, il devait à Viola sa première véritable émotion d'amant. Comptait plus encore l'estime et l'affection quasi filiale vouées à Bob Lowell, son mentor. Sa femme et lui, pendant une période de sa vie, avaient été les êtres les plus proches. Celle qui avait reçu la mort et celui qui l'avait donnée restaient inséparables dans ses remords. En cédant à l'appel du désir, il avait influencé le destin d'innocents. Même si son père et son grand-père l'avaient disculpé, lui-même ne pouvait s'absoudre. Il conservait en mémoire une attrition dormante que Liz Ferguson, prête à l'amour, comme autrefois Viola, avait ranimée. Il n'oserait jamais la revoir.
Ce n'est qu'en débarquant à Soledad qu'il retrouva son calme. Charles Desteyrac et Ottilia se préparaient à quitter l'archipel pour l'Angleterre, où allait se tenir la Fisheries Exhibition. Les produits bahamiens, éponges, écaille de tortue, sisal, ananas, tomates, coquilles gravées, bois de gaïac et d'acajou devaient y être exposés.
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