Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
trouver changé. Lui qui a toujours moqué ceux qui « dorment la sieste », passe une partie de l'après-midi au lit. Pour le moment il se repose et ne m'a pas encore sonné.
     
    – Comment se tient-il à table ?
     
    – C'est pas qu'il aurait perdu l'appétit, sir , mais il se retient de manger, à cause des nausées qui troublent sa digestion. Le docteur Kermor est venu ce matin avec Luc, le fils de Manuela, qui vient de rentrer de Baltimore, médecin diplômé. Sa Seigneurie n'a pas voulu voir ce brave garçon, en disant qu'avec Uncle Dave, les docteurs Weston Clarke et González, son médecin de Nassau, il est entouré d'assez de morticoles pour être achevé suivant les règles de la médecine. Car lord Simon n'a rien perdu de sa malice, sir .
     
    – Il faudra m'annoncer dès qu'il sera en état de me recevoir. Je serai dans la bibliothèque.
     
    Pacal savait par Uncle Dave que son grand-père souffrait depuis des mois d'une grave maladie du foie, formellement diagnostiquée. « Cela finira en ictère grave, en stase des voies biliaires, empoisonnement du sang », avait prédit Kermor, avec sa franchise habituelle, ce qu'avait confirmé Weston Clarke.
     
    Quand, une heure plus tard, Pacal rejoignit l'aïeul dans son bureau, il fut effrayé par le teint cireux du malade, dont le blanc des yeux virait au jaune. Lord Simon avait fait toilette, passé du linge frais, endossé une jaquette d'après-midi. En dépit de la maladie, il restait, à toute heure, soucieux de son apparence.
     
    – Je suis bien aise que tu sois là. Alors, qu'as-tu vu à Inagua et qu'as-tu décidé ? lança-t-il, sans préambule, s'efforçant à la désinvolture.
     
    Pacal fit un rapport détaillé, cita les témoignages recueillis, donna des chiffres et conclut en assurant que la liquidation de la saline Cornfield s'imposait. Lord Simon, qui savait à quoi s'en tenir par d'autres sources, approuva la décision de Pacal et le félicita pour son argumentation.
     
    – En tant que propriétaire exploitant, vous devez, pour la bonne règle, signer ces papiers, que j'enverrai au Colonial Office, dit Pacal en déposant sur le sous-main quelques feuillets.
     
    – C'est à toi de signer, mon garçon. Tu as désormais la signature pour toutes mes affaires. Le Colonial Office est prévenu. Mes notaires de Nassau, de New York, de Boston et de Londres ont été informés, comme tous mes banquiers. Tous ont envoyé procuration à ton nom. Il suffit que tu mettes devant ta griffe « pour lord Simon Leonard Cornfield ». Quand je serai parti, dans un monde sans banquiers ni notaires, tu supprimeras le « pour lord Simon… ». C'est simple !
     
    – Mais enfin…, s'insurgea Pacal, très ému.
     
    – Mais enfin, quoi ? Je sais parfaitement où j'en suis. Uncle Dave m'a promis de me conduire debout jusqu'à Christmas . J'espère avoir la force d'aider mon vieil ami à tenir sa promesse. Ne sois pas triste, je n'ai pas peur de la mort, car je sais que tu tiendras ma place, ici et ailleurs, avec compétence, autorité et honneur.
     
    – Tout de même, je trouve cette délégation de signature un peu prématurée.
     
    – Que nenni ! Tu peux maintenant vendre Cornfield Manor à un Américain et me mettre à la porte, plaisanta le vieil homme, ragaillardi par la présence de son héritier.
     

    C'est au prix d'un effort surhumain que lord Simon présida, à Cornfield Manor, les fêtes de fin d'année. Volonté féroce de maîtriser son corps souffrant, d'apparaître, tel l'acteur qui vient saluer à la fin du spectacle, comme le maître du jeu. Plus connu en Grande-Bretagne que tous les gouverneurs de l'archipel qui s'étaient succédé à Nassau, le lord des Bahamas entendait ne pas rater sa sortie. S'il ne prit que trois cuillerées de bouillon de tortue et quelques loquettes finement tranchées de jambon de Virginie clouté de girofle, qu'il dégusta avec lenteur pour être à l'unisson de ses invités, il ne fit que goûter à l'émincé de dinde, nappé d'une sauce onctueuse fleurant le whisky. Tandis que circulaient les jattes de crème glacée, les coupes où baignaient dans le marasquin des tranches d'ananas, les mousses au lait de coco, les gaufres à la cannelle et les sablés au gingembre, on le vit se contenter d'une gelée de citron, le moins écœurant des desserts.
     
    Le repas achevé, en l'absence d'Ottilia, qui voyageait en Europe avec son mari, lord Simon, chancela un peu en quittant son siège

Weitere Kostenlose Bücher