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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ignorée de son père, saura jouir de la fortune du vieux. Il fera, comme disent les Français, « danser l'anse du panier », avança Weston Clarke, sarcastique.
     
    – Quand il va jouer au polo à Nassau, on dit qu'il ne monte pas que son cheval, gloussa Margaret Russell.
     
    Titubant entre son mari et sa fille, cramponnée à leur bras, il fallait qu'elle fût, comme souvent, sérieusement éméchée pour faire une allusion si grivoise. Personne ne sourit ni ne releva, mais des larmes de honte montèrent aux yeux de Violet.
     

    Au cours des premières semaines de l'année 1884, l'état de santé de lord Simon parut se stabiliser. Grâce à la potion fournie par le cacique des Arawak, les nausées s'espaçaient et le malade avait repris goût à la promenade. Il se faisait souvent conduire en calèche par Pacal, jusqu'à Deep Water Creek, au nord-est de l'île, face au grand large.
     
    Ce jour-là, sous un soleil d'hiver « doré comme une guinée neuve », la transparence de l'air générait, entre mer et ciel, de lointains mirages.
     
    – Sais-tu que, là-bas, est l'Angleterre ? dit Simon, fixant l'horizon comme si, doué d'une acuité visuelle surhumaine, il apercevait, par-delà l'Océan, les rives de la mère patrie.
     
    Pacal respecta la méditation de son grand-père jusqu'à ce qu'il dût signaler l'approche de Tom O'Graney. Charles Desteyrac avait chargé le maître charpentier de faire construire une barrière de protection au bord de la falaise, qui s'effritait sous l'effet de l'érosion, ce qui expliquait la présence de l'Irlandais en ce lieu.
     
    O'Graney salua, commenta les travaux en cours et rappela sans transition la nouvelle qui occupait son esprit depuis qu'on avait appris, à Soledad, le naufrage du City of Colombus , le 18 janvier, à Gay Head Light, sur la côte du Massachusetts.
     
    – Les journaux annoncent cent trois morts, dit le charpentier, contrit.
     
    – Les phares ne protègent pas toujours les navires du naufrage. Celui de Gay Head n'a pas sauvé ce vaisseau des écueils, entre Nantasket et Scituate, précisa lord Simon.
     
    Le nom de Nantasket réveilla chez Pacal le souvenir de sa baignade avec Viola, mais le charpentier se remémora une autre tragédie de la mer.
     
    – C'est sur cette côte, my lord , le dimanche 7 octobre 1849, qu'a failli se terminer mon voyage pour Soledad.
     
    – Nous aurions été désolés de ne pas vous voir débarquer, lieutenant. Racontez-nous ça, dit lord Simon, attentif à donner son grade à Tom.
     
    – Eh bien, voilà. J'arrivais en Amérique, à bord du Saint John , pour me mettre à votre service après que le regretté major Carver m'eut engagé à Liverpool, où j'errais à la recherche d'un embarquement. Le major m'offrit le passage sur le premier bateau en partance pour les États-Unis. Il se trouva, en escale, un navire irlandais, en route pour Boston. Il venait de Galway, en Irlande, ayant à bord une bande d'émigrants pour l'Amérique. C'était un vieux brick, dont les membrures me parurent si vermoulues qu'on y eût fait des trous avec le doigt. Après une traversée sans histoire, nous approchions de Boston, prêts à embouquer la passe de Cohasset quand, à un mille de la côte, une forte tempête se leva. Un coup de vent drossa le brick sur un rocher, où il s'ouvrit comme une vieille barrique. À quelques-uns, on a sauté dans une chaloupe, déjà à demi emplie d'eau, en prenant avec nous des femmes et des enfants. Le canot surchargé s'enfonça et ce fut chacun pour soi. Sans un espar qui me servit de bouée, je n'aurais jamais atteint le rivage où les gens qui avaient vu le naufrage attendaient. Pendant trois jours, les habitants de Cohasset ramassèrent les noyés rejetés par la marée, les mirent dans des bières grossières et les portèrent avec leurs charrettes, jusqu'au grand trou creusé dans le cimetière. Pour ces Irlandais, hommes, femmes, enfants, la terre promise n'offrait qu'une tombe. Ah, my lord , jamais je n'oublierai l'horreur de ces jours ! Et je peux imaginer ce que fut la fin du City of Colombus  ! conclut O'Graney.
     
    – Ce n'était pas votre heure, mon brave. En attendant qu'elle sonne, faites-nous une barrière solide, pour que les enfants et les chèvres ne tombent pas de la falaise, conclut lord Simon, mettant fin à l'entretien.
     

    Le maître de l'île continuait à exercer sa rage de vivre en se donnant des buts datés. Il avait commencé par dire à Pacal :

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