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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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pour offrir son bras à Dorothy Weston Clarke. Chapitrée par son mari, l'épouse du médecin réussit avec naturel à poser le bras de son hôte sur le sien, offrant ainsi un appui discret au malade.
     
    Lorsque les dames furent réunies au petit salon, devant une desserte surchargée de friandises, les hommes, rassemblés au fumoir, firent cercle autour de leur hôte. Les cigares de Cuba furent allumés aux baguettes de balza et, quand Pibia apparut, prêt à servir le porto, lord Simon l'arrêta d'un geste.
     
    – Mes amis, le vin que voici mérite d'être dégusté avec déférence. Il a vingt-sept ans d'âge, comme mon petit-fils Pacal Desteyrac-Cornfield, futur maître de Soledad. Je compte que vous l'assisterez – il n'osa pas dire « le servirez » – comme vous m'avez assisté depuis si longtemps.
     
    Tous s'inclinèrent avec le sentiment d'assister à une passation de pouvoirs. Suivant la consigne donnée au majordome, Pacal fut servi le premier, en lieu et place du maître de céans. Ce geste confirma aux yeux de tous ces Anglais, accoutumés à l'étiquette observée depuis le premier baronet Cornfield, l'adoubement du fils de Charles Desteyrac et d'Ounca Lou. L'usage voulait que le premier servi, au cours d'une libation empreinte de quelque solennité, ouvrît la série des toasts.
     
    – À la reine ! lança Pacal d'une voix forte, aussitôt imité par les invités.
     
    Au douzième coup de minuit, frappé par le marteau du carillon qui, depuis cinq générations, comptait les heures des Cornfield, les invités se réunirent au grand salon pour l'échange des vœux.
     
    – Pourvu que grand-père ne devine pas, derrière les souhaits qu'on lui prodigue, la commune pensée de ses amis. Tous se disent que c'est peut-être le dernier Nouvel An qu'ils célèbrent avec lui, murmura Pacal à l'oreille d'Uncle Dave.
     
    – À part les Weston Clarke, les Russell, Lewis Colson et Palako-Mata, tous ignorent la gravité de son cas, dit le médecin.
     
    – Il a, certes, mangé du bout des dents, mais sa pugnacité est intacte. À le voir ainsi, je me prends à espérer. Votre quinquina et vos purgatifs salins font de l'effet, non ?
     
    – Ma pharmacopée n'y est pour rien. Si mon vieil ami a pu, pour ce soir, dominer son mal et faire à peu près bonne figure, c'est à Palako-Mata que nous le devons. Hier, Simon, qui sait combien les Arawak sont forts en herboristerie, l'a fait venir. Ils ont parlé un moment et, ce matin, Palako-Mata m'a fait lui administrer une potion composée de coca, de valériane et d'une herbe dont j'ignore tout, le matlalitztic, héritage des Matlazinca, ancêtres mexicains de nos Indiens.
     
    – Drogue salutaire.
     
    – Mais non curative, hélas. Palako-Mata m'a prévenu. Effet temporaire, corrigea David Kermor.
     
    Comme tous s'y attendaient, Pacal fut invité à ouvrir le bal. En se dirigeant vers l'épouse de John Maitland, il ne put s'empêcher de penser qu'il avait autrefois sacrifié à cette obligation mondaine avec lady Lamia.
     
    Myra Maitland, femme timide et mélancolique – les commères murmuraient qu'elle n'était pas heureuse avec un mari qui cachait « une maîtresse dans chaque port » –, respecta le silence de son danseur. Elle imagina que les pensées de Pacal vagabondaient vers d'autres fêtes, loin de Cornfield Manor, alors que la valse ranimait chez cet homme le souvenir de Fish Lady, tournoyant légère dans ses bras, lors de la nuit du 31 décembre 1881.
     
    Mêlée à la musique, il entendit sa voix quand elle lui avait dit : « Ce que tu es fort ! Sais-tu que mes pieds ne touchent pas le parquet ? »
     
    Dès la fin de la première valse, lord Simon s'éclipsa discrètement, suivi par David Kermor. Comme si l'atmosphère ne se prêtait pas à la fête, cette nuit-là, après quelques danses, les invités se retirèrent. En l'absence du maître de maison et des Desteyrac, Pacal, rigide dans son spencer bleu navy, reçut compliments et remerciements à transmettre à lord Simon.
     
    – Je crains que nous n'ayons assisté à la fin d'un règne et à l'avènement d'un nouveau seigneur de Soledad, dit le pasteur Russell, dans le groupe qui, sur les allées du parc, s'éloignait du manoir.
     
    – Souhaitons-le moins tyrannique que l'ancien, grinça Dorothy Weston Clarke, vexée de n'avoir pas ouvert le bal avec Pacal.
     
    – Caractère très différent, ma chère. Le fils de la pauvre Ounca Lou, si longtemps

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