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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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bref et, après quelques banalités sur l'état de la mer et la qualité du service, Pacal dut s'éloigner, la dame ne lui ayant pas offert de s'asseoir pour consulter la gazette, comme il l'avait espéré. Il avait eu cependant le temps de lire, dans un regard turquoise abrité derrière de longs cils, qu'elle n'était pas offusquée par une tentative de rapprochement, à coup sûr éventée. Les initiés à l'élection amoureuse savent, au premier regard échangé, ce que ressent l'autre et à quoi il aspire.
     
    Au dîner, elle apparut dans un fourreau noir, à manches de mousseline, sans un bijou, ses cheveux bruns relevés en chignon, et lui adressa de loin un signe discret de reconnaissance. Dès la fin du repas, elle se couvrit d'un mantelet et passa sur le pont promenade où, renonçant au fumoir, Pacal la suivit. Chasseur avisé, il la dépassa d'un pas vif sans un regard, puis fit demi-tour au bout du pont et vint à sa rencontre, les yeux baissés, comme ignorant sa présence. Ce fut elle qui l'arrêta.
     
    – Pardon, monsieur. Je vous ai entendu parler français au steward. Puis-je vous demander un renseignement, car j'ignore cette langue ?
     
    – Je vous en prie, madame.
     
    – Pouvez-vous me dire comment on dit drawer ou cassetto en français ?
     
    – On dit tiroir, madame.
     
    – Eh bien, je ne puis plus ouvrir un tiroir de la commode de ma cabine et je ne sais comment l'expliquer au domestique, qui ne parle ni l'anglais ni l'italien.
     
    – Voulez-vous que je tente d'ouvrir moi-même ce tiroir ? proposa Pacal, saisissant l'occasion.
     
    – Je n'oserais demander cela à un gentleman, minauda-t-elle.
     
    – Osez, madame, osez. Un gentleman est toujours prêt à servir une lady.
     
    – Puisque vous m'offrez si gentiment votre aide, et bien qu'une femme seule ne doive pas faire entrer un inconnu dans sa cabine, venez avec moi, décida-t-elle avec le premier sourire que Pacal lui vit.
     
    Il s'inclina, suivit la jeune femme et fut mis en présence du tiroir réticent. Il comprit tout de suite qu'un objet mal placé à l'intérieur empêchait le coulissage. Il ôta le casier supérieur et accéda au corps du délit, une boîte à gants, dont le couvercle relevé bloquait le mouvement du tiroir sur ses glissières.
     
    – Voilà le mal réparé. Aucun tiroir ne m'a jamais résisté, dit-il en riant.
     
    – Oh ! bene, bene , seul un homme sait faire ces choses. Je ne sais comment vous remercier, dit-elle.
     
    – Comment me remercier ? Je vais vous le dire : venez prendre une coupe de champagne avec moi. Le barman dispose d'un Cliquot admirable.
     
    L'Italienne marqua un temps d'hésitation convenable, puis accepta.
     
    En une heure de conversation, Pacal apprit tout de cette Florentine, veuve d'un riche Américain, rencontré en Italie deux ans plus tôt. Elle était sans enfants et, n'ayant plus aucune attache aux États-Unis, rentrait au pays. Il l'intéressa en lui parlant des Bahamas, archipel qu'elle eût été incapable de situer sur un planisphère. Le vin de Champagne triompha de sa pâleur et de sa réserve et, quand lord Pacal la raccompagna jusqu'au seuil de sa cabine, elle tendit sa main à baiser et promit de se trouver sur le pont-promenade le lendemain, en fin de matinée.
     
    Dès lors, ils furent inséparables. Un maître d'hôtel, complice stipendié des idylles transatlantiques, leur réserva une table pour prendre repas et collations tête à tête. Ils en vinrent, suivant la gradation qu'un reste de pudeur impose aux femmes avant la reddition, des baisers échangés dans les coins sombres du pont aux caresses furtives, sans que Domenica permît à Pacal de franchir le seuil de sa cabine. Cette résistance, qu'il devina de pure forme, décupla son audace. La veille de l'arrivée au Havre, il se fit plus précis, certain d'être compris à demi-mot.
     
    – Ce sera cette nuit ou jamais, Domenica, dit-il, lors de la promenade d'après dîner.
     
    Elle lui serra fortement le bras et se laissa aller contre son épaule.
     
    – J'ai peur, il y a près d'un an que… ça ne m'est pas arrivé et, demain, je serai encore plus malheureuse de vous quitter si…
     
    – La vie, Domenica, nous offre de rares moments de plaisir. Ne la décevons pas, ne nous privons pas.
     
    – Allons chez vous, souffla-t-elle.
     
    Après avoir vécu la crainte de l'inaccessible, Pacal connut le délice des sens libérés. Sa compagne céda au déferlement d'une

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