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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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récemment refusé deux partis flatteurs.
     
    En prenant congé, après le dîner familial, Pacal proposa à lady Jane de l'accompagner, le 4 mai, à l'inauguration, par la reine Victoria, impératrice des Indes, de l'exposition qui se proposait de montrer aux Britanniques et aux visiteurs étrangers tout ce que l'Empire produisait de beau, de bon, d'utile. La jeune fille battit des mains, réaction enfantine hors d'âge.
     
    Au jour dit, Jane Kelscott consacra une heure à sa toilette, hésita entre dix robes, trois chapeaux, vingt paires de gants, choisit une ombrelle à franges et guetta, derrière le rideau du salon, l'arrivée sur Park Lane de la calèche de son cavalier. Elle crut connaître le vertige quand Pacal l'aida à monter en voiture, plus encore lorsqu'il lui prit la main et la conserva un instant, tandis que la voiture roulait vers South Kensington. Elle eût aimé que le parcours durât des heures mais le trajet fut bref.
     
    Grâce à une invitation officielle, Pacal et sa compagne furent autorisés à suivre le cheminement de la reine, quand elle fit son entrée dans le parc. Victoria, qui résidait à Windsor, était arrivée une heure plus tôt à la gare de Paddington. Dans les rues, des milliers de Londoniens avaient acclamé leur souveraine et ce fut l'œil vif, rose de plaisir, que Sa Très Gracieuse Majesté parcourut les allées de l'exposition. Petite femme potelée, mêlant animation naïve et dignité royale, elle trottinait en jouant d'une canne plus décorative qu'utile.
     
    – Savez-vous que cette canne a été tournée, pour le prince Albert, dans la branche d'un chêne planté par Charles II, souffla Jane, émerveillée.
     
    La reine visita la salle indienne, le bazar oriental, s'intéressa aux costumes des indigènes venus des colonies autonomes, de l'Empire des Indes, des protectorats de la Couronne. Les turbans des sikhs barbus, les fez des Égyptiens, les boubous des Nigériannes, les étains de Malaisie, les diamants des mines de Kimberley, les tapis du Kurdistan, les masques africains, les peaux de castor du Canada retinrent plus la royale attention que les produits des Bahamas : tonneaux de sel, paniers et chapeaux de sisal, ananas, mangues, citrons, conches sculptées, ambre gris et mâchoires de requins. Pacal eut cependant la satisfaction de voir le cortège s'arrêter devant deux tableaux du peintre Albert Bierstadt 3 , Plage d'émeraude et Une île bahamienne sous le vent du nord-ouest , toiles peintes aux Bahamas. Il savait que l'artiste habitait souvent le Royal Victoria Hotel, où son épouse tenait salon et où elle exposait les toiles et dessins de son mari.
     
    Tout au long du parcours, des fanfares se relayaient et la visite se termina à l'Albert Hall, où le prince de Galles lut un hommage à la reine qui répondit en quelques mots inaudibles. La cantatrice Emma Albani, dite La Jeunesse, chanta sur une musique du compositeur sir Arthur Sullivan, une ode de circonstance, écrite par le poète lauréat Alfred Tennyson.
     
    – Je suis sûre que notre reine, qui souffre d'une incurable affliction depuis la mort du prince Albert, pense à la grande Exposition universelle de 1851, qu'elle avait inaugurée à son bras, murmura Jane à l'oreille de Pacal.
     
    À l'issue de la cérémonie, il invita la jeune fille à déjeuner chez Simpson, sur le Strand, où l'on servait, sur chariot d'argent, une selle d'agneau renommée. Au cours du repas, Jane dit tenir de son père que le Premier ministre Gladstone désapprouvait l'exposition coloniale, organisée avant son retour au pouvoir par le gouvernement éphémère de lord Salisbury.
     
    – William Ewart Gladstone estime que cet étalage d'exotisme coûte cher et ajoute aux dépenses publiques déjà consenties pour les colonies. Je crois que Gladstone pense, sans oser le dire, que nos colons exploitent un peu trop les indigènes de l'Empire, qui n'ont pas demandé à être colonisés, dit-elle.
     
    – Et, quelle est l'opinion de votre père à ce sujet ?
     
    – Mon père ne s'entend qu'en Bourse, en femmes et en chevaux, dit Jane sans hésitation.
     
    Pendant son séjour, le Bahamien fut le cavalier attitré de lady Jane. On les vit chevaucher, le matin, dans les allées de Hyde Park, déjeuner au Café Royal, que fréquentaient Oscar Wilde, le prince des esthètes, et le peintre James Whistler, à la brasserie Barclay, fort à la mode, chez les dandies, dans un restaurant indien proche de Covent

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