Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
Vom Netzwerk:
Guillaume Métaz avait posé debout, dans un habit de drap brun, ouvert sur un long gilet, de même tissu, le cou serré dans une étroite cravate blanche. Visage épais, peau lisse, nez fort, lèvres minces, vaste front, cheveux blancs rejetés en arrière sans souci de coiffure, le négociant, figuré dans la force de l'âge, fixait le spectateur d'un regard à la fois rusé et sévère, sourcils froncés. Émanait de cet homme une apparence de droiture, de fermeté, d'intelligence, mais aussi d'austérité un rien ostentatoire.
     
    – Calviniste bon teint, républicain et maître en affaires, comme l'indique le livre de comptes qu'il désigne d'un index catégorique, souffla Thomas à l'oreille de Pacal.
     
    – Je trouve à tante Maguy une certaine ressemblance avec son défunt père.
     
    – Plus qu'une ressemblance physique, crois-moi. Maguy, c'est l'homme de la famille ! dit Thomas.
     

    Un peu plus tard, alors que les deux amis se rendaient à l'hôtel Vendome, où ils étaient logés avec les invités bahamiens, à proximité de la résidence d'Arnold Buchanan, sur Commonwealth Avenue, Thomas compléta l'information de Pacal sur le fondateur de la dynastie Metaz O'Brien.
     
    – Personne ne te dira la raison pour laquelle ce brave vigneron quitta Vevey, en 1820. Ma mère s'amuse de ces cachotteries pusillanimes. Ce fut, mon cher, à la suite d'un cocuage romanesque, longtemps dissimulé. La première épouse de Guillaume Métaz, une Vaudoise, trompa son mari avec un officier de l'armée napoléonienne, qui franchit le col du Grand-Saint-Bernard en 1800, s'illustra à Marengo et finit général. Quand Métaz découvrit, dix-huit ans plus tard, qu'il n'était pas le père de son fils, il exigea le divorce et quitta la Suisse pour les États-Unis, emmenant sa fille, une certaine Blandine, que ma mère a connue. Cette jeune Suissesse avait épousé le fils d'un planteur de Louisiane, Lewis Calver, esclavagiste. Elle divorça, pour une raison inconnue, après que son mari lui eut donné une fille. J'imagine que, pendant la guerre de Sécession, ce Calver servit dans l'armée sudiste. C'est sans doute pourquoi tante Maguy et sa sœur aînée, Johanna-Caroline, mère de Fanny, n'entretiennent plus de rapports avec leur demi-sœur et ses descendants, expliqua Thomas.
     
    Avant le dîner familial chez son futur beau-père, Pacal eut, avec ce dernier, l'entretien qui s'imposait. Arnold Buchanan, veuf pour la seconde fois et dans les mêmes circonstances, assumait sa peine en chrétien qui croit à la vie éternelle. Les âmes de ses épouses, toutes deux pieuses, devaient se trouver réunies dans la demeure de Dieu. Il lui plaisait d'imaginer qu'elles conversaient en évoquant les mérites – osait-il penser les vertus ? – de l'époux, resté dans la « maison d'argile », qui, un jour ou l'autre, viendrait à se dissoudre comme l'annonçait saint Paul dans son épître aux Corinthiens !
     
    Arnold Buchanan accueillit le Bahamien avec une affabilité empreinte de gravité. Ce croyant s'était toujours méfié de ce qu'il disait être « l'hérésie molle des aristocrates anglais, plus soucieux d'urbanité que de religion ». Bien que l'épiscopalisme ne fût que l'anglicanisme mis à la mode américaine – par substitution, comme autorité suprême, des évêques à la reine d'Angleterre –, il craignait que, dans les colonies de la Couronne, dont les Bahamas, les Trente-Neuf Articles de la doctrine chrétienne ne fussent interprétés avec laxisme. Sans doute par puritanisme atavique, il observait strictement l'inactivité dominicale, militait pour la fermeture des théâtres, salles de concerts, débits de boissons et lieux de plaisir le dimanche. Ce jour-là, il interdisait à ses enfants de se mettre au piano, de monter des pantomimes, de jouer au cricket et les conduisait, tous les six en rang discipliné, aux offices puis sur la tombe de leur mère. Ce patricien avait toujours fui la compagnie des hommes dissolus, ne buvait qu'un verre de vin au repas et considérait que, seule, la maternité justifie l'existence des femmes. La vie était, à ses yeux, un investissement de Dieu sur la terre. On se devait de le faire fructifier en faisant des enfants et des affaires.
     
    Il apparut à Pacal comme le type achevé du grand bourgeois bostonien. Toujours vêtu d'une redingote noire, Arnold Buchanan n'avait eu, pour marquer son deuil, qu'à échanger le gilet de soie et la cravate gris

Weitere Kostenlose Bücher