Un paradis perdu
perle, qu'il portait habituellement, contre cravate et gilet noirs. C'était un homme grand, fort, bedonnant et sanguin. Malgré ce physique impressionnant, Pacal comprit que l'assurance dont faisait montre le père de Susan était tout de surface. Elle relevait, plus d'une attitude sociale et mondaine composée, que de la nature d'un puissant businessman, ainsi qu'on nommait, depuis les années soixante-dix, les grands entrepreneurs yankee .
Pacal eut confirmation de cette intuition quand, après les considérations d'usage sur le mariage, Arnold Buchanan en vint à rappeler, avec plus de fierté que de savoir-vivre, le montant de la dot de sa fille.
Pacal retint un sourire dédaigneux.
– Suivant mon souhait, mon notaire a obtenu du vôtre que cette somme fût placée sur un compte ouvert au nom de Susan, dans une banque de son choix et qu'elle seule y ait accès. Les Cornfield et les Desteyrac ont toujours agi ainsi. Nous n'acceptons pas l'argent qui viendrait par les femmes. La dot de votre fille, puisque dot il y a, restera sa propriété pleine et entière. Soyez assuré que j'eusse épousé une demoiselle dépourvue de tout bien. Or Susan est un don suffisamment précieux pour être prise sans dot, dit lord Pacal en s'inclinant, avec le sentiment de jouer une scène de Molière.
– Mais, monsieur, ne pas doter une jeune fille donnerait à penser, à Boston, qu'elle se marie sans le consentement de son père ! D'ailleurs, quand The Boston Globe annonce un mariage dans son carnet mondain, le chroniqueur donne toujours le montant de la dot de la mariée.
– Détestable habitude, monsieur. On saura donc que votre fille est dotée. Mais, rassurez-vous, personne ne connaîtra les dispositions que j'ai prises, et je vous prie de ne pas les considérer comme mépris de votre fortune ou de votre générosité, mais comme l'expression du respect, de l'affection profonde et sincère que j'ai pour ma fiancée, ajouta Pacal.
– Je comprends. Vos coutumes familiales ne sont pas les nôtres, mais j'apprécie la noblesse de vos sentiments. Vous devrez toutefois en faire part à Maguy Metaz O'Brien. C'est elle qui gère les affaires de Susan, acheva Arnold Buchanan.
Lord Pacal se garda de dire que tout était déjà réglé avec tante Maguy et que cette dernière avait été rassurée par le refus élégant de la dot de sa petite-nièce.
« Ce Britannique des îles n'est pas un coureur de magot et la bague de fiançailles, achetée chez Tiffany, à New York, qu'il a offerte à Susan, prouve qu'il a les moyens d'épouser sans dot ! » avait-elle confié à Fanny.
Au cours des quelques jours qui précédèrent la cérémonie de mariage, prévue à Trinity Church, lord Pacal put se faire une plus juste idée de la haute société bostonienne, qu'il avait peu fréquentée pendant ses études au MIT.
Il découvrit, au cours des visites protocolaires qu'il dut faire avec Susan, qu'on avait cessé de s'apitoyer sur la mort de la seconde épouse d'Arnold Buchanan.
– Il ne faut pas que la peine d'Arnold dure plus que la décence ne l'exige. Nous souhaitons que ce pauvre ami trouve une nouvelle épouse, capable de l'aider à élever ses six enfants, dont l'aîné vient d'avoir treize ans, dit la présidente de la Women's Christian Temperance Union, qui passait pour l'arbitre des convenances.
Par Thomas Artcliff, avec qui il fit quelques sorties en célibataire, comme au temps de leurs études, il apprit que la coterie locale s'étonnait, plus ou moins discrètement, de voir l'héritière des Buchanan Metaz O'Brien General Stores, une des plus grosses fortunes de Nouvelle-Angleterre, s'être amourachée, au point de l'épouser, d'un colon des Bahamas.
On ne s'étonna plus quand lord Pacal fit son apparition dans les salons. Yeux finement bridés, regard vert clair passant du glacial au velouté enjôleur, teint mat, cheveux lustrés noirs de jais partagés par une raie nette, haute taille, forte carrure, hanches étroites et ventre plat, la beauté athlétique de Pacal et son aisance, frôlant la désinvolture, séduisirent les femmes et agacèrent les maris. Pour le Bahamien, ces derniers semblaient tous sortis du même moule que le père de Susan. Enrichis par le négoce, l'armement maritime ou la banque, ils montraient souvent poil roux, teint coloré, moustaches cirées, jambes courtes et ronde bedaine. Comme Arnold Buchanan, ils ne demandaient à leur
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