Un paradis perdu
proche de leur hôtel, ils assistèrent aux adieux à la scène de Coquelin Aîné, dans une comédie de Molière.
Après deux mois passés dans la capitale française, gorgés de visites de musées et de lieux historiques, du Louvre à Versailles, du tombeau de Napoléon à la tombe de La Fayette, héros de l'indépendance des États-Unis, au cimetière de Picpus, ils prirent la route de l'Auvergne. Pacal tenait à montrer à sa femme le village d'Esteyrac, lieu d'origine de sa famille paternelle.
Le Bahamien trouva le château dans le même état qu'il l'avait vu, avec son père et Ottilia, onze ans plus tôt. Comme en 1878, un chien hargneux annonça la présence de la voiture de louage, dès qu'elle eut franchi la grille délabrée de la clôture. Le même paysan, propriétaire des lieux, apparut, appuyé sur un bâton et Pacal dut se faire reconnaître.
– Je me souviens de votre visite. Vous étiez avec vos parents. Eh ben ! vous avez forci ! Vous voilà marié et vous avez l'air à l'aise, hein. Pour moi, c'est pas le cas, grogna l'Auvergnat.
– Pourquoi donc ?
– Mes fils veulent pas reprendre. Y en a un qu'est entré au chemin de fer et l'autre qu'a marié une Normande. Il est parti travailler avec son beau-père, un bouilleur de cru cousu d'or. Ah ! il a tiré la bonne carte, celui-là !
– Vos fils ont donc bien réussi. Et votre fille ? Vous n'avez pas de gendre ? s'enquit Pacal.
– Ma fille s'est faite nonne. Moi, j'ai plus qu'à vendre ma ferme ! Ma femme est malade et j'ai des douleurs, qui me nouent les jambes et les bras. Et personne, dans le pays, veut reprendre cette foutue ruine. Y veulent bien les champs et le bétail, mais nenni pour ce nid de corbeaux. Je sens bien qu'on finira à l'hospice des indigents.
Pacal, comme lors de sa première visite, examinait la façade lépreuse du corps principal, avec ses fenêtres à meneaux, les deux ailes coiffées de toits affaissés, l'escalier à double révolution, aux marches ébréchées, auquel l'absence de balustres conférait une désolante nudité. Soudain, il se tourna vers le paysan.
– Si j'achète le château avec vos terres, me le vendez-vous ?
L'homme, surpris, ôta son chapeau informe et se mit à tirailler sa moustache.
– C'est-y que vous voulez rire !
– Je suis sérieux. Ce château est celui des ancêtres de mon père. Quand nous sommes venus ici, ensemble, je sais qu'il l'aurait acheté, s'il en avait eu les moyens. Moi, je les ai et je suis prêt à l'acquérir. Voulez-vous me le vendre ?
– Comme ça, tout à trac, je sais pas si je peux. C'est à voir avec mon notaire d'Issoire, mon bon monsieur.
– Si nous nous entendons, vous pourrez rester dans votre maison. Je louerai les terres à qui vous me conseillerez, vous toucherez les fermages et vous serez l'intendant du domaine. Ainsi, vous ne changerez rien à votre façon de vivre et j'aurai ici, en vous, un homme de confiance, précisa Pacal.
– Le château, vous allez le démonter pour l'emporter en Amérique ? On dit que les Américains font ça. J'ai vu dans le journal qu'y en a même un qui a acheté un cloître, l'a fait démonter, pierre à pierre, et embarqué pour je ne sais où.
– Je ne suis pas américain. Je ne démonterai pas le château. Je lui rendrai son bel aspect d'autrefois et j'y viendrai de temps en temps, en vacances.
– Si je m'en souviens bien, vos îles, elles sont aussi loin que l'Amérique.
– On traverse l'Océan en moins d'une semaine, aujourd'hui, répliqua Pacal.
Après un instant de réflexion, le vieil homme se décida.
– Attendez un peu, que j'aille parler de ça à ma femme, dit-il en s'éloignant, clopin-clopant.
Pendant son absence, Pacal fit le tour du bassin aux nymphes, martyrisées par les révolutionnaires de 1793. Il l'imagina, dans sa belle apparence, les eaux jaillissantes et les naïades ayant retrouvé leur tête et leurs bras.
Quand le paysan revint, son pas parut plus assuré et c'est avec une satisfaction, qu'en bon Auvergnat il dissimula derrière un sourire résigné, qu'il annonça l'accord de son épouse.
– Venez donc manger un morceau chez nous, on pourra mieux parler, offrit-il.
Tandis qu'ils cheminaient vers la chaumière, Susan ralentit le pas.
– Nous n'habiterons jamais ici. Pourquoi achetez-vous ces vieilles pierres ? chuchota-t-elle.
– Pour
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