Les reliques sacrées d'Hitler
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Lâallée du Forgeron
23 février 1945
C haque matin, à la même heure, les bombardiers des forces alliées assombrissaient le ciel au-dessus de Namur, en Belgique. Au cours de ce dernier hiver de la Seconde Guerre mondiale, des centaines dâavions â parfois même un millier â regroupés en une gigantesque armada aérienne déferlaient par vagues et grondaient dans le ciel pendant une heure ou plus dâaffilée. Ils laissaient derrière eux des traînées de vapeur de plusieurs kilomètres qui flottaient dans lâair longtemps, bien après leur départ, une fois leur chargement mortel largué sur leurs cibles en Allemagne et en Europe de lâEst.
Lâarrivée de ces vagues de bombardiers terrifiait les soldats allemands prisonniers du centre de détention de lâarmée américaine, situé dans les champs enneigés des faubourgs de Namur. Les prisonniers se serraient les uns contre les autres en tremblant à lâintérieur des enclos grillagés et scrutaient anxieusement le ciel, redoutant lâhorreur qui allait se déchaîner chez eux, sur leurs amis et leurs familles. Les Américains qui les avaient capturés guettaient également les avions, mais, au lieu dâen avoir peur, ils éprouvaient une admiration sans bornes pour les équipages des bombardiers et leur puissance de feu. Câétait le marteau qui pilonnait la machine de guerre nazie et permettrait bientôt à lâarmée alliée dâanéantir Adolf Hitler chez lui. Les bombes qui pleuvaient nuit et jour sur des objectifs militaires comme sur des sites industriels, provoquant la destruction de villes entières, étaient le prix que lâAllemagne devait payer pour sa résistance obstinée.
Le lieutenant Walter Horn, un des dix enquêteurs parlant allemand de la 3 e  armée américaine basés à Camp Namur, guettait chaque jour lâarrivée des escadrilles de bombardiers avec des sentiments mitigés. Ãgé de trente-six ans, le torse et les épaules musclés, il avait lâair sombre dâun acteur de cinéma, et pensait à sa femme qui lâattendait avec impatience dans leur maison de Point Richmond, le long de la baie de San Francisco. Horn sâémerveillait de la capacité de lâAmérique à construire, alimenter, maintenir et lancer des milliers dâavions chargés de dizaines de milliers de bombes à des centaines de kilomètres en territoire ennemi. Bien quâil nâait jamais encore utilisé dâarme pendant ses deux années de service et que son unité de renseignements opérationnelle, commandée par le général George Patton, se soit toujours tenue à une distance confortable de quelque quatre-vingts kilomètres du front, Horn appréciait lâaudace et le courage des équipages aériens. Et il se sentait proche des milliers dâautres â artilleurs, soldats dâinfanterie, médecins, cuisiniers, employés et commissaires â qui constituaient lâarmée la plus importante, la plus mobile et la mieux équipée qui ait jamais existé.
Mais la vue de ces bombardiers remplissait également Horn dâangoisse. Tout comme les prisonniers quâil interrogeait, il était né en Allemagne et y avait fait ses études. Il ne savait jamais si un des bombardiers ne larguerait pas sa cargaison près de la maison familiale à Heidelberg, ni si, dans les camps de prisonniers, il ne reconnaîtrait pas un jour parmi les visages défaits des captifs et des blessés celui de son frère aîné, Rudolf.
En cet hiver, le lieutenant Horn avait reçu lâordre de chercher à savoir si Hitler allait utiliser des armes chimiques ou biologiques au moment où les armées alliées franchiraient le Rhin pour entrer en territoire allemand. Des rumeurs couraient selon lesquelles les Allemands, dans une dernière tentative désespérée pour briser lâétau des forces alliées, pourraient faire usage de telles armes, comme ils lâavaient fait, vingt-sept ans auparavant, dans les tranchées en France.
Lâunité de renseignements de Patton avait préparé un questionnaire détaillé pour tenter de leur extorquer la vérité. Les enquêteurs ne posaient pas directement aux
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