Un paradis perdu
que plus rien, sauf la mort, ne pourrait désormais nous séparer. Si vous voulez bien de moi à Soledad, je m'y installerai. Andrew dit que le pasteur Russell pourra nous marier et que son bungalow est assez vaste pour abriter notre ménage. Voilà ce que nous avons décidé cet après-midi, au fort Marion, débita Fanny sans reprendre souffle.
– Est-ce sage, Fanny ? Que va dire tante Maguy ? risqua Susan, stupéfaite.
– Ah, parlons-en de Maguy ! Sais-tu qu'elle ne m'a jamais remis les lettres que m'envoyait Andrew ? Je n'ai que faire de l'avis de ce dragon égoïste. Je ne veux plus entendre parler d'elle, et je vais lui ôter l'administration de mes biens. Désormais, je suis libre, et personne ne m'empêchera de faire ce que bon me semble. Voilà ! déclara la Bostonienne, péremptoire.
– Mais, à votre âge, est-ce judicieux, de vous engager à un homme plus jeune que vous ? insista Susan.
– Oublie mon âge, s'il te plaît ! Un jour, tu l'auras, et je te souhaite d'avoir alors la jambe aussi légère et la fesse aussi ferme que les miennes aujourd'hui, ma petite ! lança Fanny, excédée.
La trivialité voulue du propos et l'hilarité de Pacal firent monter le rouge aux joues de Susan.
– Je ferai tout pour que vous soyez heureuse, dit le lord en prenant la main de Fanny pour y poser un baiser.
– Vous, Pacal, vous me comprenez, n'est-ce pas ? Je ne demande que quelques années de vie intense, tous risques acceptés. Si le Seigneur est juste, comme on le dit, il me les accordera. Alors, voulez-vous m'emmener avec vous à Soledad ?
– Dans une semaine, nous appareillerons pour… Cythère, confirma gaiement lord Pacal, satisfait du bon tour joué à la parentèle puritaine de son épouse.
Ce soir-là, Susan n'invita pas son mari à la rejoindre dans sa chambre. Trop d'idées se heurtaient dans son esprit, pour qu'elle se prêtât aux caresses. Étant donné la fortune dont pouvait disposer Fanny Buchanan, elle n'imaginait pas Andrew Cunnings en amoureux désintéressé. Dans sa prière du soir, qu'elle récitait depuis l'enfance, à genoux au pied de son lit, elle demanda au Seigneur de pardonner la déraison de sa tante et d'aider la famille à supporter l'humiliation et les moqueries qui prévaudraient quand on apprendrait, dans les salons de Beacon Hill, l'extravagance d'un tel mariage.
Dès le retour à Soledad, Susan, encouragée par son mari, pressa le pasteur Michael Russell de célébrer au plus vite, dans l'intimité, l'union de Fanny et Andrew.
– Si l'on tarde, ces deux-là sont bien capables de vivre sous le même toit – et de partager le même lit – aux yeux de tout le Cornfieldshire, sans être unis par le sacrement de mariage, présagea Pacal avec malice.
Une semaine après le retour de Floride, l'ordre moral fut respecté et lord Pacal donna, à Cornfield Manor, un dîner pour les époux, qui reçurent, suivant la tradition établie par lord Simon, un grand bol à punch en argent.
Quoiqu'il lui en coûtât, Susan s'habitua à considérer sa tante comme l'épouse d'Andrew Cunnings et à la voir partout reçue avec respect et considération.
– Enfin, une vraie femme parmi nous, commenta Dorothy Weston Clarke, qui tenait l'épouse américaine de Pacal pour poupée de tea-cosy 11 .
Dans une longue lettre, envoyée de France en juin 1891, Charles détaillait, pour son fils, l'état d'avancement des travaux à Esteyrac.
« La vieille gentilhommière auvergnate se prête, sans surprise – et je veux croire avec plaisir – à une restauration qui lui a déjà rendu l'apparence qu'on lui voit sur des gravures du XVII e siècle, qu'Ottilia et notre architecte ont trouvées, dans les archives départementales et chez les libraires. Les villageois, le maire le premier, suivent avec intérêt la rénovation de ce que les anciens nomment toujours « le château ».
» La remise en état du gros œuvre est terminée. Les combles sont hors d'eau, depuis que les toits ont été couverts d'ardoises neuves et les chéneaux remplacés avec art par des couvreurs venus de Bourgogne, MM. Guingand, père et fils. Les tailleurs de pierre ont refait à l'identique encorbellements, encadrements, fenestrelles et meneaux. Pour l'escalier, un ferronnier se dit capable de forger une balustrade suivant le modèle d'origine, dont nous possédons le dessin. La façade, débarrassée de plusieurs
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