Un paradis perdu
praticien, un rien dédaigneux.
– Le docteur Luc Ramírez est diplômé de Johns Hopkins University, à Baltimore, ce qui vaut bien, j'imagine, l'école de médecine d'Halifax, dont on m'a dit que vous sortez, répliqua lord Pacal, mettant fin à l'entretien.
Le nouveau père souhaitait conduire femme et fille à Soledad, dans les meilleurs délais, mais il dut, avant d'embarquer, visiter la demeure acquise par Susan par l'intermédiaire d'Arnold Buchanan.
Dans cette maison cossue, en brique rouge sombre, percée de fenêtres aux encadrements blancs, seul le grand salon était déjà meublé.
– De quoi se faire une idée. Les autres pièces seront prêtes pour notre prochain séjour, expliqua Susan.
Au premier regard, Pacal reconnut le décor de la plupart des résidences de Beacon Hill. Cheminée de marbre avec pendule de bronze, servant de siège à une Athéna casquée, tapis à motifs floraux, lampes à pétrole ventrues, en porcelaine bleue et or, doubles rideaux en damas, cantonnières festonnées, lourdes passementeries, canapé en bois de rose, débordant de coussins, fauteuils à oreillettes, guéridon à pied tripode constituaient l'ensemble le plus prisé des riches bourgeois bostoniens.
– Tante Maguy nous offre ce paravent de tapisserie, ouvrage de ma grand-mère, Fanny O'Brien Metaz, et ma tante Fanny me donne ce paysage du cap Cod, de Copley, dit la jeune mère, désignant les objets censés conférer à la pièce un cachet particulier.
Bien que la saison des ouragans ne fût pas close, lord Pacal décida avec autorité, sans tenir compte des réticences de tante Maguy, du retour de sa famille à Soledad. Cette fois-ci, après bien des hésitations, quelques larmes et une augmentation de ses gages, Angela, la femme de chambre que tante Maguy « offrait » à sa petite-nièce, accepta de suivre sa nouvelle maîtresse.
Les Buchanan n'eussent pas pardonné à Pacal les dangers encourus par Susan si le Phoenix II avait dû affronter les tempêtes automnales. Par bonheur, le temps fut clément, la traversée sereine et la vie avait repris son cours, à Cornfield Manor, quand, en novembre, les grosses pluies s'abattirent sur l'île.
Paulina se révéla une excellente nourrice et lady Martha prospéra, suivant les normes de poids et de taille établies par le docteur Barrett.
Pacal comprit bientôt que sa femme considérait Cornfield Manor comme une résidence de vacances, non comme le foyer familial. Elle appréciait Soledad, ainsi que les Américains des États du Nord faisaient cas de Nassau ou de Key West.
Pas une journée ne s'achevait sans qu'elle eût vanté, dix fois, à ses interlocutrices les plus familières, Dorothy Weston Clarke, Myra Maitland ou Violet Russell, les charmes inégalables de Boston.
– Il s'y passe toujours quelque événement intéressant. Une conférence de la ligue anti-alcoolique, le récital d'une cantatrice étrangère, la création d'une pièce de théâtre, une exposition de peinture, le bal des débutantes ou la fête des promotions, à Harvard. Si vous aviez vu Sarah Bernhardt dans la Dame aux Camélias , ce destin d'une courtisane scandaleuse, vous comprendriez qu'on ne peut trouver, nulle part ailleurs, autant de distractions, assura-t-elle un jour.
Avec un retard qu'elle déplorait, les lettres de Fanny, redoutable épistolière, les journaux et magazines, comme The Globe et The Christian Examiner , de Harvard, l'informaient de la vie, mondaine et culturelle, Harper's Bazaar et Godey's Lady's Book lui permettaient de suivre l'évolution de la mode, entre deux histoires, sentimentales mais édifiantes, et les conseils de beauté. L'épouse de Pacal trouvait dans ces lectures et la correspondance, régulièrement entretenue avec ses parentes et ses amies de pension, de quoi meubler les mois qui la séparaient d'un nouveau séjour en Nouvelle-Angleterre.
Au cours des premiers jours de 1891, s'accrût la méfiance que la jeune mère avait des Indiens, quand une lettre de tante Maguy et les journaux apprirent aux Bahamiens que les Sioux des Grandes Plaines, répondant aux exhortations de leur prophète Wowoka, avaient quitté les réserves, ce qui faisait craindre un soulèvement général des tribus. Le président des États-Unis, Benjamin Harrison, avait aussitôt donné l'ordre d'en finir avec la résistance indienne et d'incarcérer le vieux chef Sioux, Sitting Bull. Le 14 décembre,
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